ENQUÊTE 5G sur les sabotages d'antennes
De :https://reporterre.net/Exclusif-la-carte-des-sabotages-des-antennes-5G
Enquête —
5G
Exclusif : la carte des sabotages des antennes 5G. 3 janvier 2022
Antennes-relais
brûlées, câbles coupés… Reporterre publie la carte exclusive des
sabotages d’infrastructures numériques en France : 140 actes ont été
comptabilisés en deux ans. Ils témoignent d’un refus d’une société
numérisée et de l’impuissance des mobilisations citoyennes.
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Cette enquête sur les actes de sabotage contre les infrastructures de
télécommunication et contre le déploiement de la 5G comporte trois
volets. Demain, nous publierons l’interview de trois saboteurs : quel
sens politique donnent-ils à leur action ?
C’est
un mouvement qui avance en souterrain, loin des projecteurs, une
révolte profonde qui se répand en France. Depuis deux ans, les actes de
sabotage contre les infrastructures de télécommunication et contre le
déploiement de la 5G se sont multipliés. Des antennes-relais sont
incendiées, des câbles de fibre optique sectionnés, des pylônes
déboulonnés. Dans la nuit, des personnes brûlent des engins de chantier,
s’attaquent avec des disqueuses aux relais téléphoniques ou détruisent à
coup de masse des armoires électriques. Rien qu’au mois de novembre
dernier, trois antennes sont parties en fumée à Saint-Héand dans le département de la Loire. Quelques jours auparavant, à Toulouse, quatre camionnettes d’une entreprise d’installation de fibre optique étaient enflammées. Dans le Gard, entre Salindres et Barjac, des milliers de personnes ont été privées d’internet après que des câbles aient été coupés à la hache.
Découvrez sur notre carte les sabotages répertoriés par Reporterre :
Prise
isolément, chacune de ces affaires pourrait s’apparenter à un simple
fait divers. Mises bout à bout, elles tissent, au contraire, la toile
d’un récit commun. Ces actions apparaissent dans leurs revendications
comme autant de refus de vivre dans une société hyperconnectée, autant
de résistances frontales à la numérisation du monde.
Des centaines de sabotages ont été réalisés ces dernières années. Depuis plusieurs mois, Reporterre
les répertorie un à un, au gré de leur apparition dans des articles de
la presse quotidienne régionale ou sur des sites de revendications et
d’informations anarchistes comme Attaque ou Sansnom.
Entre janvier 2020 et décembre 2021, nous en avons compté, sourcé et
analysé 140 sur tout le territoire. Ils sont probablement plus nombreux.
En mai 2021, un rapport interne du ministère de l’Intérieur recensait
déjà 174 actes de sabotage en un an. Ce document, dont France Inter
a pu se procurer une copie, n’a pas été rendu public. Malgré nos
demandes, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité nous le
communiquer.
De leur côté, les opérateurs de Télécom tiennent aussi le compte. « Chez Orange, environ une antenne par semaine est la cible de vandalisme », confiait en septembre à La Tribune Cyril Luneau, le directeur des relations avec les collectivités locales. Au total, en deux ans, Orange aurait subi 130 attaques dont 61 sur des sites de téléphonie mobile.
- Les vendeurs de 5G n’ont pas hésité à en faire massivement la publicité, comme ici dans la capitale. © Laury-Anne Cholez / Reporterre
Il
est difficile d’avoir une vision exhaustive du nombre global de
sabotages. Les opérateurs comme les autorités restent frileuses quant à
leur communication. « Il s’agit même plutôt de ne pas trop ébruiter ces éléments afin d’éviter de donner des idées à certaines personnes »,
nous explique par courriel Ariel Turpin, le délégué général de l’Avicca
(l’Association des villes et collectivités pour les communications
électroniques et l’audiovisuel). Leur crainte est fondée : dans un sondage IFOP, publié en septembre 2020, pas moins de 20 % des personnes interrogées se disaient favorables à la destruction des antennes-relais 5G.
Depuis vingt ans et les fauchages d’OGM (organismes génétiquement modifiés),
la France n’avait pas connu une campagne de sabotage aussi massive. Les
professionnels de la téléphonie sont plus qu’inquiets. Ils évoquent,
dans la presse, un « fléau contre des chantiers vitaux de la nation ». Le patron d’Orange Stéphane Richard invite même à « purger » le débat pour éviter un « Afghanistan de la téléphonie mobile, où il faudra se battre pylône par pylône, commune par commune pour essayer de mettre la 5G ». Vincent Cuvillier, le président de l’Ofitem (Association française des opérateurs d’infrastructure de téléphonie mobile) n’hésite pas à parler de « terrorisme numérique ». La surenchère est de mise. Dans Le Figaro, une journaliste décrit les saboteurs comme « une pseudoarmée secrète levée contre la 5G avec de possibles connexions à l’étranger ».
200 000 € le pylône
Les dégâts occasionnés ont effectivement de quoi leur faire peur. D’après les calculs de Reporterre, le préjudice total de ces sabotages dépasse les dizaines de millions d’euros. « Un pylône d’antenne-relais coûte environ 200 000 euros, confirme à Reporterre Michel Combot de la Fédération française des Télécoms. S’il
est détruit, il faut ajouter le coût de l’enlèvement. Pour les
transformateurs et les équipements électriques, cela va dépendre du
degré de dégradation, ce n’est pas la même chose si c’est une armoire
électrique qui est incendiée ou juste un câble qui est coupé. »
Dans certains cas, les dégâts peuvent atteindre plusieurs millions
d’euros. C’est le cas notamment, à Grenoble en janvier 2020, lorsqu’un site d’Enedis avait été incendié avec une dizaine de véhicules ou encore, en mai 2020, lorsque deux antennes dans le Jura avaient été brûlées. Le site n’avait pas pu être remis en service.
De
manière générale, les opérateurs rechignent à dévoiler le montant réel
de la facture. Vincent Cuvillier s’avère tout de même un peu plus
prolixe. « Si vous prenez en moyenne 200 000 euros par site et que vous multipliez par les 174 actes de dégradation [du rapport du ministère de l’Intérieur], on ne contestera pas le chiffre », déclare-t-il à Reporterre. Soit 34,8 millions d’euros.
Des millions de personnes touchées
Au-delà
de ces coûts, les conséquences de ces actes sont également importantes.
En septembre dernier, une partie du Tarn a été coupée des réseaux après
l’incendie de plusieurs antennes-relais. 52 000 abonnés de Bouygues et
de SFR
ont été privés de service téléphonique pendant plusieurs jours. En
janvier 2021, l’incendie d’un émetteur près de Limoges par un mystérieux
« comité pour l’abolition de la 5G et de son monde »
avait privé 1,5 million de personnes de télévision et de radio. Un mois
auparavant, à proximité de Marseille, un autre incendie avait empêché
3,5 millions de personnes d’accéder à la télévision. Les sabotages
touchent aussi de grandes entreprises. À Saint-Héand, dans la Loire,
c’est une usine Thales qui n’a pas pu fonctionner correctement pendant
plusieurs jours après l’incendie d’une antenne-relais.
Notre chroniqueuse Corinne Morel Darleux, a raconté dans Reporterre
comment une série de sabotages coordonnés a paralysé la vallée de la
Drôme où elle habite. Le réseau téléphonique ne fonctionnait plus, les
distributeurs de billets et les paiements par carte bleue non plus.
Cette panne gigantesque est « matière à réflexion », écrivait-elle. « Pendant
un instant, les rouages du numérique qui régissent nos vies ont été
grippés. Le buraliste se désolait de ne plus pouvoir vendre de jeux à
gratter. Les fumeurs cherchaient nerveusement des pièces dans le fond de
leur poche pour s’acheter un paquet. Des restaurateurs, déjà fermés
pour cause de Covid, ne recevaient plus les commandes à livrer. Les
commerçants sur le marché écrivaient des reconnaissances de dette sur
des bouts de papier. On naviguait entre exaspération et joyeux bazar. Il
a suffi d’un incendie pour bloquer une grande partie de l’activité. »
- « Remplacer la cinq G par le point G » sur une affiche dans les rues de Paris. © lw
Depuis
plusieurs années, les saboteurs ont identifié les antennes-relais comme
étant les nœuds névralgiques par lesquels transitent les flux
économiques et se développe le technocapitalisme. Des bulletins
anarchistes parlent de « cordon ombilical », d’autres sites de « talons d’Achille ».
« Une manière de desserrer l’emprise de l’État, de casser la surveillance et de bloquer les flux économiques »
Les
premières attaques de grande envergure ont commencé dès 2017, avec une
série de sabotages en Auvergne-Rhône-Alpes, revendiquées par un groupe
défini comme « libertaire » par la presse. Le mouvement s’est poursuivi en 2019 avec de nombreux sabotages menés par des Gilets jaunes, notamment en Alsace et dans la Nièvre. « La question de la fibre et des antennes-relais était déjà pas mal discutée dans les assemblées de Gilets jaunes », confie à Reporterre un ancien membre du mouvement. « Beaucoup
de tutoriels circulaient sur les réseaux sociaux et dans les manifs
pour expliquer comment détruire des radars, saboter des compteurs Linky
ou des antennes. À l’époque, c’était déjà vu comme une manière de
desserrer l’emprise de l’État, de casser la surveillance et de bloquer
les flux économiques », raconte-t-il.
En France, on ne compte pas moins de 50 000 antennes 4G et 18 994 antennes 5G actives.
La majorité sont installées sur des terrains isolés qui se prêtent
difficilement à la surveillance, et sont donc, de leur propre aveu,
facilement attaquables : « Ce
n’est pas réaliste aujourd’hui de dire que nous allons installer 66 000
caméras de vidéo-surveillance sur toutes les antennes. Et soyons
clairs : quelqu’un qui veut entrer et détruire un site isolé pourra le
faire », dit Vincent Cuvillier. Et les modes d’emplois se multiplient sur les sites spécialisés, à base de chiffons, de bidons de kérosène, d’allume-feu et de briquets.
Une dynamique stimulée par la pandémie
Mais c’est véritablement au cours de la pandémie de Covid-19 que ces sabotages ont pris de l’importance et commencé à inquiéter les autorités. Un article du Parisien publié en mai 2020 dévoilait une note confidentielle du Service central du renseignement territorial (SCRT) qui a comptabilité une vingtaine d’attaques au cours du mois d’avril. « L’ultragauche a l’expérience, dit un gradé de la gendarmerie au journal. Ils ne laissent pas de trace, sont difficiles à remonter, mais tout mène à eux. »
Plusieurs appels venus du milieu anarchiste invitent en effet à passer à l’action. « À
l’heure où tout le monde ou presque vit confiné dans une bulle
domotique connectée à la matrice comme un ersatz de vie, que se
passerait-il si un pylône haute tension facile d’accès venait à tomber
par terre », s’interrogent des militantsAntenne GSM en flamme
#SaintOrensdegamevilleD’autres invitaient à « renouer avec l’action directe » au vu des échecs des dernières mobilisations dans la rue, notamment, contre la 5G.
Après avoir évoqué un contexte répressif inédit et une impossibilité de
se faire entendre par des moyens traditionnels, plusieurs textes
engagent ceux qui le veulent à créer un mouvement de « résistance concrète, et pas seulement symbolique », pour « reprendre l’avantage dans la guerre sociale actuelle », à travers des actions de sabotage et de dégradation.
Le contexte politique est en effet propice au retour de l’action directe : d’un côté le gouvernement est passé en force sur la 5G, de l’autre le mouvement d’opposition citoyen patinait depuis le début de la contestation de cette technologie imposée. Les recours juridiques comme les demandes de moratoire n’ont pas obtenu la moindre inflexion dans la mise en place de la 5G.
« Les sabotages se multiplient quand les formes de négociation plus institutionnelles sont en crise »
Contacté par Reporterre, le délégué général de l’association Agir pour l’environnement Stephen Kerckhove observe : « Je
n’ai aucun étonnement à voir des gens prendre leur clé à molette. À
l’instant où les canaux légaux et institutionnels classiques des
associations peinent à obtenir des résultats, ça se décale forcément sur
du sabotage. C’est une photographie de notre incapacité collective et
de l’irresponsabilité du gouvernement. Cela engendre légitimement une
rage folle, je comprends que des gens puissent se mobiliser ainsi. »
Au
sein du milieu écologiste, le constat est assez similaire. Le
réalisateur Cyril Dion, ancien garant de la Convention citoyenne pour le
climat — qui avait d’ailleurs demandé un moratoire sur la 5G — assure aussi « comprendre que des gens en arrivent à ces extrémités ». Le sabotage « peut
être utilisé en dernier recours, pour créer un rapport de force, même
si l’idéal est évidemment la voie démocratique. Ce qui importe, c’est
d’articuler les stratégies », confiait-il naguère à Reporterre. Pour l’historien des sciences François Jarrige, cette situation n’a, en réalité, rien d’étonnant. « Les sabotages se multiplient quand les formes de négociation plus institutionnelles sont en crise », explique-t-il à Reporterre. « C’est
précisément au moment où les choix techniques sont encore incertains et
pas totalement enracinés dans les imaginaires et dans les institutions
qu’il est possible d’agir. Il s’est passé la même chose avec les OGM, le nucléaire, mais aussi avec la voiture à ses débuts, et la mécanisation industrielle au XIXᵉ siècle. Aujourd’hui, c’est le tour des infrastructures de communication numérique. »
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