Emmanuel Macron: « L’armée m’a tuer…! » par Edouard Husson
Copie de : https://lecourrierdesstrateges.fr/2021/04/30/emmanuel-macron-larmee-ma-tuer/?
Le quinquennat Macron a commencé par le départ forcé du Chef d'Etat-major des Armées, le Général de Villiers. Et il entame sa dernière année par le succès inattendu dans l'opinion d'une tribune dénonçant le délitement du pays sous l'impact de l'immigration incontrôlée, du prosélytisme musulman et du gauchisme militant. Lancée par des militaires en retraite, la pétition a déjà rassemblé 18000 signatures et elle rencontre de plus en plus d'écho dans l'armée d'active. Emmanuel Macron a toujours méprisé le secteur régalien. Et voilà que ce dernier se rappelle à son bon souvenir, au moment où 58% des Français approuvent la tribune des militaires et 66% disent ne pas souhaiter que le président se représente.
Un texte écrit avec les tripes |
Qui aurait pu penser qu’une tribune publiée par le blog Place d’Armes deviendrait en quelques jours une affaire d’Etat ? Au départ, il y a un coup de sang du capitaine Jean-Pierre Fabre-Bernadac, un texte écrit avec les tripes, qui circule auprès d’un certain nombre de ses camarades militaires. Très vite, le texte fait consensus parmi tous ceux qui pensent pouvoir le signer, au départ uniquement des militaires à la retraite. Et l’on parle de le publier immédiatement. Certains des hauts gradés se demandent s’il ne serait pas plus opportun d’attendre qu’on se trouve à quelques semaines de la présidentielle, pour avoir un impact maximal. Mais la majorité ne veut pas attendre. La situation du pays est trop grave. Comme le dit le texte : « Les périls montent, la violence s'accroît de jour en jour. Qui aurait prédit il y a dix ans qu'un professeur serait un jour décapité à la sortie de son collège ? Or nous, serviteurs de la Nation, qui avons toujours été prêts à mettre notre peau au bout de notre engagement – comme l'exigeait notre état militaire, ne pouvons être devant de tels agissements, des spectateurs passifs.…. ». Le texte est écrit comme un appel pour que le gouvernement français prennent leurs responsabilités. «Alors, Mesdames, Messieurs, assez d'atermoiements, l'heure est grave, le travail est colossal ; ne perdez pas de temps et sachez que nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation. » |
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Des hommes de troupe se joignent aux généraux |
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Après qu’il a commencé à circuler, le texte rencontre plus de signataires que prévu. Des généraux de la 2è section (2S), des hommes d’active, des officiers de réserve commencent à le signer. Mais, phénomène plus inédit, d’anciens sous-officiers et simples hommes de troupe aussi ! Et, selon des officiers qui se sont confiés à moi, le soutien est large, jusque dans l’armée d’active. Les divergences portent plutôt sur la forme que sur le fond. Certains auraient aimé qu’on en profite pour rappeler que la souveraineté française est galvaudée ; que nos gouvernants ne savent plus dire à l’armée pourquoi elle se bat etc….Mais est-ce que ça n’était pas un autre texte ? En tout cas, les premiers signataires du texte ont eu le sentiment que leurs camarades d’active sont nombreux à les soutenir. C’est pourquoi ils écrivent : « Par contre, si rien n'est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant, au final une explosion et l'intervention de nos camarades d'active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national » ? Le texte n’est peut-être pas original dans la formulation mais sa force c’est qu’il a saisi l’air du temps : « On le voit, il n'est plus temps de tergiverser sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers ». En quittant la Place Beauvau en septembre 2018, Gérard Collomb, Ministre de l’Intérieur démissionnaire, n’avait-il pas déclaré « Aujourd’hui, on vit côte à côte. Je crains que demain on vive face à face ! » ? Que s’est-il passé depuis deux ans et demi pour inverser la tendance ? |
Viva el lider minimo ! |
A ce stade, aucun des signataires n’imaginait que le texte aurait un quelconque retentissement. Même après la parution dans Valeurs Actuelles, le 21 avril. Mais le 23 avril se produit un drame qui illustre tragiquement ce que la tribune dénonce. Une femme agent administratif est assassinée par un islamiste dans le commissariat de Rambouillet. On apprend assez rapidement que le terroriste – abattu sur place par un policier - avait exulté, voici quelques mois, à l’annonce du meurtre de Samuel Paty ; mais aussi qu’il suivait avec intérêt la lutte de quelques personnalités, dont Jean-Luc Mélenchon, contre « l’islamophobie ». Aussitôt, le chef de la France insoumise sent passer le vent du boulet. Il ne suffit pas de tweeter, comme il le fait, un texte plein de contorsions pour dénoncer l’assassinat sans nommer l’islamisme. Il faut faire diversion. Notre castriste d’opérette, qui rentre d’une tournée en Amérique Latine, a son sujet, tout trouvé : dénoncer les « généraux factieux » qui menacent la République. En cinq jours, le lider minimo publie pas moins d’une vingtaine de tweets, plusieurs threads ; il organise une conférence de presse pour dénoncer le texte relayé par Valeurs Actuelles. Il s’agite tant et si bien que la tribune commence à avoir une réelle audience. |
58% des Français soutiennent les militaires |
L’agitation de Robespierrot n’explique cependant pas tout. Lorsqu’au Courrier des Stratèges nous avons commencé à publier, lundi 26 avril, sur le débat qui montait, nous avons constaté l’audience inédite du sujet. La mobilisation de la gauche, le mépris des médias contre ce qu’ils croient être un « quarteron de généraux en charentaises » (Agnès Pannier-Runacher), non représentatifs, ont été confortés par l’attitude très cassante de la Ministre, Florence Parly, qui met en branle un dispositif de sanctions. Servis par une publicité inattendue, les responsables de la publication de la tribune ont vu soudain une deuxième vague de signatures. Le nombre de signatures est à 18 000 vendredi matin 30 avril. Il est certain que le gouvernement a manqué de sang froid. Actuellement, au Ministère de la Défense, on passe au peigne fin la liste des signataires. Et il règne, selon l’une de mes sources, « une atmosphère digne de la tristement célèbre époque des fiches » – lorsque la République, au début du XXè siècle, traquait les officiers catholiques pratiquants. Mais, me confie un autre connaisseur : « A ‘Brienne’ et à l’Elysée, c’est la panique ! Ces gens ont tellement méprisé le régalien, pensé qu’il s’agissait d’une réalité périmée, qu’ils passent aujourd’hui à l’extrême inverse et imaginent que des militaires ça ne sait faire d’autre qu’un putsch pour instaurer une dictature. ». |
Les quelques soldats d’active qui se sont laissés entraîner à signer devraient être rayés des cadres. Les généraux 2S mis à la retraite. Et l’on somme des officiers de réserve de se justifier. Mais cela ne fait que faire monter l’audience de la tribune. Un sondage réalisé par l’institut Harris pour LCI donne 58% de soutien au texte des militaires. 38% des Français interrogés voient précisément de quel texte il s’agit et 64% en ont entendu parler. |
Emmanuel Macron, première victime de la tribune des militaires ? |
Emmanuel Macron touche du doigt l’impossibilité du « en même temps » quand on est assis dans le fauteuil du Général de Gaulle. En laissant Florence Parly sanctionner les signataires, il perd l’électorat LR, celui qu’il avait mobilisé au moment de la crise des Gilets Jaunes et qui lui est indispensable pour être réélu. Mais s’il désavoue sa majorité et son ministre, il provoque une crise gouvernementale et s’affaiblit de plus en plus sur sa gauche, où les reports d’intentions de vote au second tour sont médiocres dans les sondages. |
Au total, c’’est malgré tout un geste de conciliation avec les militaires qu’il faudrait esquisser. Mais le Président aura à franchir beaucoup d’obstacles : 1. son tempérament qui le pousse à faire le contraire de ce qu’on lui conseille de faire ;2. les mauvaises relations qu’il entretient avec l’armée depuis le départ forcé du Général de Villiers en 2017; et, enfin, 3. le sentiment croissant dans une partie de la population que le pilote et son équipage ont beau tirer les manettes, ils ne maîtrisent plus le vol de l’appareil. |
Car c’est la principale leçon de l’improbable succès de la tribune de Fabre-Bernadac.
La situation est devenue tellement volatile dans le pays que le texte a échappé
à ses rédacteurs et premiers signataires. Il a une audience considérable et inattendue.
Certes, l’émotion qu’il suscite risque de retomber. Mais l’impact qu’il a eu en quelques
jours confirme les difficultés qu’aura Emmanuel Macron a convaincre les Français
qu’il tient les rênes. Les mêmes Français qui sont 58% à soutenir les militaires,
sont 66% à souhaiter, selon le baromètre Odoxa-Dentsu Consulting, que le Président
ne se représente pas en 2022.
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