Le graphène expliqué ( 2ème partie) par Pr Marc Henry
De :https://marchenry.org/2021/12/16/57-applications-potentielles-du-graphene-et-de-ses-derives/
Graphène et silicium
Certains chercheurs ont bon espoir de pouvoir un jour remplacer le silicium par le graphène dans l’électronique moderne. Une conséquence intéressante est qu’il serait alors possible d’imprimer des dispositifs ultra-minces. Par exemple, des téléphones cellulaires ou des écrans transparents au lieu de les fabriquer. D’où la graphène-mania qui agite les milieux scientifiques depuis 2010. Hélas, le passage du silicium au graphène pose des défis actuellement insurmontables à l’échelle industrielle. De plus, le graphène est un matériau très toxique pour les cellules. D’où une recherche portant sur des matériaux similaires et moins dangereux. C’est ici qu’intervient l’oxyde de graphène (GO) ou l’oxyde de graphène réduit (rGO). Il convient ici de noter que je vais parler de recherche et développement, et non pas de dispositifs commerciaux.
De fait, entre la recherche et la mise sur le marché, il faut compter un délai d’environ 20 ans. Concrètement, cela signifie qu’un dispositif disponible dans le commerce aujourd’hui a été conçu et développé 20 ans auparavant. C’est le cas, par exemple, de la technologie à ARN messager qui date des années 2000. Cette technologie a dû attendre 2020 pour éclore commercialement parlant. Donc, inutile de vous affoler. Il y a effectivement beaucoup de choses dans les cartons des laboratoires de recherche. Mais, très peu d’applications ont donné lieu à un développement industriel. Puisque toute cette recherche a démarré en 2010, il faudra attendre 2030 pour la diffusion dans le grand public. Du moins, à la connaissance du modeste jeune retraité qui écrit ces lignes.
Propriétés du GO
Le passage de 3 liaisons covalentes par atome de carbone dans le graphène à quatre liaisons dans GO ou rGO conduit à des propriétés distinctes. Le GO présente une faible conductivité électrique entraînant un comportement isolant ou semi-conducteur selon le degré d’oxydation. La surface spécifique des feuilles de GO est d’environ 890 m2·g-1. Le GO présente une résistance mécanique élevée avec un module de Young de 207,6 ± 23,4 GPa. La résistance à la rupture est de ~120 MPa. Les groupes époxy et hydroxyle des feuilles de GO sont situés sur le plan basal du carbone. Tandis que les groupes carboxyles sont situés sur les bords. Des quantités variables de carbonyle, phénol, lactone et quinine sont également observées dans la structure du GO.
L’abondance des groupes fonctionnels entraîne un comportement hydrophile qui augmente avec le niveau d’oxydation. Les feuilles de GO présentent une bonne dispersibilité dans l’eau. Ceci en vertu de leur nature fortement chargée et de leur caractère hydrophile. Ils forment des dispersions aqueuses stables dans une large gamme de concentrations. De plus, elles sont dispersables dans des solvants organiques tels que l’éthylène glycol, le diméthylformamide (DMF), la N-méthyle-2-pyrrolidone (NMP), le tétrahydrofurane (THF) compte tenu de la liaison hydrogène entre la surface et l’interface du solvant. L’oxyde de graphène présente une transparence optique provenant des composants oxydés. Par contre, les domaines de graphène du GO présentent une fluorescence à large bande.
Propriétés du rGO
Le processus de réduction entraîne des changements radicaux au niveau de la résistance mécanique, la stabilité, la dispersibilité et la réactivité du GO. C’est l’élimination de l’oxygène dans la structure du GO qui est responsable de ces changements. La structure covalente à 3 liaisons se restaure après le processus de réduction. L’un des effets les plus importants du processus de réduction du GO est l’augmentation de la conductivité électrique jusqu’à 6 300 S·cm-1 avec une mobilité électronique de 320 cm2·V-1·s-1. La surface du rGO augmente également durant le processus de réduction. Il est ainsi possible de rétablir presque la surface spécifique extrêmement élevée du graphène vierge (~2 600 m2·g-1). Les feuilles de rGO, comme le graphène, présentent une forte résistance mécanique. Le module de Young vaut ~1,0 TPa pour une résistance à la rupture de ~130 GPa.
Contrairement au GO, le rGO acquiert un comportement hydrophobe compte tenu de l’augmentation du rapport C/O de la structure. D’où une dispersibilité moindre de ce matériau après réduction. Par exemple, lorsque la teneur en oxygène du rGO est réduite de 31% à 9%, la dispersibilité du matériau après sonication diminue de 8 à 2,5 µg·mL-1. En plus de la dispersibilité, le comportement colloïdal du rGO est également affecté par le processus de réduction. Ce dernier baisse la concentration critique de coagulation. Même si la structure du graphène n’est pas entièrement récupérée par la réduction du GO, le rGO conserve des propriétés utiles. On peut ainsi citer la fonctionnalité contrôlable, la conductivité électrique et thermique élevée, la disponibilité du matériau initial et le processus de préparation bon marché et évolutif.
Stockage d’énergie et rGO
Le rGO s’utilise dans les batteries lithium-ion, lithium-soufre et lithium-oxygène pour les applications de stockage d’énergie. La surface élevée de ce matériau est un avantage précieux pour obtenir des dispositifs de stockage d’énergie de grande capacité. En particulier, la nature hautement conductrice des matériaux rGO est utilisée dans les matériaux anodiques et cathodiques de ces batteries rechargeables. Le réseau de carbone conducteur favorise le transfert efficace des ions et l’échange d’électrons. De plus, la haute diffusivité du lithium sur les plans de graphène améliore la capacité de charge. Par exemple, des plaquettes de rGO décorées de nanoparticules de Fe2O3 sont utilisées comme matériau d’anode pour des batteries Li-ion qui ont présenté des capacités de décharge et de charge de 1693 et 1227 mA·h·g-1.
Plusieurs études différentes sur les électrodes anodiques en rGO ont montré que le rGO est un matériau approprié pour les applications de stockage d’énergie à haute capacité. De même, les films de rGO autosupportés s’utilisent avec succès comme matériau cathodique dans les batteries Li-ion. Contrairement aux matériaux anodiques, une teneur élevée en composés fonctionnels contenant de l’oxygène dans la structure du rGO est nécessaire pour les électrodes cathodiques de haute capacité.
Stockage d’énergie et GO
Les batteries rechargeables peuvent également utiliser du GO dans leur structure. Comme pour le rGO, la surface spécifique élevée du GO est importante pour avoir une capacité élevée. De plus, les composés contenant de l’oxygène à la surface du GO offrent des zones de liaison actives pour les matériaux électrochimiques. En changeant les concentrations de composés contenant de l’oxygène, on peut ajuster les propriétés électriques du GO. Toutefois, les anodes à base de GO présentent une faible capacité de cyclage en vertu de la formation d’une interphase d’électrolyte solide et de la réaction des ions Li-ion avec les groupes fonctionnels de l’oxygène.
Le GO présente des performances médiocres dans les matériaux anodiques des batteries Li-ion. Cela n’empêche pas de l’utiliser avec succès dans les matériaux cathodiques. Par exemple, le composite GO/LiFeSO4F sert de matériau cathodique pour améliorer la stabilité du cycle et la capacité de débit des batteries lithium-ion. Les composites GO peuvent également s’utiliser dans les batteries lithium-soufre pour le développement de batteries à haute densité énergétique. On peut ainsi immobiliser le soufre et les polysulfures de lithium sur le matériau GO en utilisant les groupes fonctionnels réactifs sur la structure GO. La forte interaction entre le GO et le soufre ou les polysulfures permet aux piles au lithium/soufre d’avoir une capacité réversible élevée de 950-1400 mA·h·g-1, et un cycle stable pour plus de 50 cycles profonds.
Cellules solaires
La grande surface spécifique du GO et du rGO est une propriété extrêmement intéressante pour les applications de cellules solaires. Du fait de ses propriétés semi-conductrices, le GO sert comme couche de transport de trous et de blocage d’électrons. Ou bien alors comme couche interfaciale efficace dans les cellules photovoltaïques organiques. Le GO améliore de manière significative la durabilité des dispositifs en augmentant la stabilité interfaciale de la couche active et de la couche interfaciale efficace sous les contraintes thermiques et environnementales.
De plus, le GO s’utilise dans les matériaux cathodiques des cellules solaires à colorant en combinaison avec les contre-électrodes des composites rGO tels que le composite rGO-TaON et le nanoruban de carbone multiparois-rGO.
Capteurs
Le GO et le rGO s’utilisent tous les deux dans des applications de détection de gaz. Le rGO est attractif en vertu de sa surface élevée et de sa conductivité électrique. Tandis que le GO présente de bonnes capacités de détection du fait de sa surface active et de sa surface élevée. Le nanocomposite rGO/CuFe2O4 permet de réaliser un capteur de gaz NH3 haute performance. Il utilise pour cela la conductivité du rGO et la capacité de détection du CuFe2O4. Par ailleurs, des capteurs fondés sur un nanocomposite d’oxyde de graphène et d’oxyde cuivreux (GO/Cu2O) permettent de détecter le gaz tri-méthylamine (TMA). Le système présente une bonne sensibilité, réversibilité, sélectivité et stabilité sur 60 jours. De plus, les nanocomposites d’oxyde de graphène et d’oxyde cuivreux se révèlent être de bons capteurs d’hydrogène, de dioxyde d’azote et d’humidité.
Super-condensateurs
Les super-condensateurs fonctionnent sur le principe de la capacité électrochimique à double couche. Ils libèrent de l’énergie par séparation nanoscopique des charges à l’interface électrochimique entre une électrode et un électrolyte. Le rGO constitue un bon candidat pour les applications de super-condensateurs de nouvelle génération. Ceci provient de sa conductivité électrique élevée, de sa surface spécifique et de sa stabilité cyclique. Plusieurs nanocomposites rGO différents, tels que rGO/Zn/PCz, rGO-noir de carbone et rGO/ZnO, sont utiles dans le développement d’électrodes de super-condensateurs. La capacité de ces super-condensateurs peut ainsi atteindre 33,80 F·g-1. Ceci se traduit par une puissance élevée (P = 442,5 W·kg-1) et des capacités de stockage d’énergie (E = 1,66 W·h·kg-1).
De plus, il existe des aérogels de rGO pour les applications de super-condensateurs. Cela augmente encore la surface, et donc la capacité du super-condensateur. Cependant, par rapport au rGO, les études sur le GO pour les applications de super-condensateurs sont assez rares. Ceci en vertu de la conductivité électrique plus faible du matériau GO.
Membranes
La nature chimiquement active et la structure poreuse du GO permet d’améliorer les performances de séparation des membranes. On cherche ainsi à utiliser les composites GO-polymère pour les applications de séparation O2/N2 et CO2/N2. De plus, l’inclusion de GO dans la structure de la membrane améliore les propriétés mécaniques de la membrane. On songe aussi au développement de membranes pour le dessalement de l’eau de mer par osmose inverse.
Bio-capteurs
Les composites de rGO et GO s’utilisent comme bio-capteurs optiques, électrochimiques et à transistor à effet de champ (FET). Ces composites contiennent souvent des nanoparticules métalliques telles que le platine et l’argent ou des polymères. Le GO et le rGO bio-compatibles permettent également de détecter des biomolécules. On peut ainsi citer le glucose, l’ADN, la D-glucosamine, le micro-ARN, les aptamères ADN/ARN, le micro-ARN multiplexé, l’aptamère optique et les mutations arbitraires de l’ADN.
Le comportement fluorescent du matériau GO autorise des applications de bio-détection optique afin de détecter différentes molécules biologiques. On peut ainsi détecter les biomarqueurs du cancer, le glucose, l’eau oxygénée, la dopamine, les nitrosamines, les toxines alimentaires et les ions métalliques.
Industrie pharmaceutique
Le GO présente d’excellentes propriétés d’absorption de l’ADN et de bio-compatibilité. La liaison de l’ADN au GO s’avère très stable et réversible. Ces propriétés rendent possible la préparation de matériaux en GO à base d’ADN pour diverses bio-applications. Les matériaux à base de GO attirent particulièrement l’attention pour l’administration de médicaments. Les nanoplaquettes de GO sont moins cytotoxiques que les plaquettes de graphène. De plus, elles présentent une forte absorption cellulaire. Ceci en fait des nanotransporteurs attractifs pour l’administration de médicaments et des nanosondes fluorescentes intracellulaires. Divers composites à base de GO tels que des substrats à motifs de nano-GO, des nanohybrides de GO à base d’hydrogel, de GO décoré d’acide hyaluronique, des nanoparticules de GO fonctionnalisé et de GO fluorescent par greffage de polymère, peuvent être utiles pour l’administration efficace de médicaments.
Les matériaux à base de GO s’utilisent également pour des applications de diagnostic et de thérapie photo-thermique. Des nano-platines multifonctionnelles plasmoniques et magnétiques à base de GO hybride et de GO confiné au resvératrol fluorogène sont utiles pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Concernant les applications thérapeutiques, la combinaison de nanoparticules d’or et de GO s’utilise pour la thérapie photo-thermique ultra-efficace du cancer. Par ailleurs, l’excellent effet photo-thermique confère au rGO un grand potentiel pour la thérapie photo-thermique contre le cancer et la libération contrôlée de médicaments par la chaleur.
Bactéricides
Enfin, le rGO et le GO présentent tous deux des propriétés anti-bactériennes avec un large spectre. Ceci grâce à leurs propriétés physicochimiques particulières et à leur mécanisme anti-bactérien unique. Les métaux tels que l’argent et l’or s’utilisent souvent comme matériaux nano-composites avec le GO et le rGO. Ceci afin d’améliorer l’activité anti-bactérienne de ces structures. Des composites ZnO/GO de différentes teneurs en ZnO de haute qualité possèdent des propriétés anti-bactériennes supérieures contre E. coli avec une cytotoxicité modérée. Les propriétés anti-bactériennes des matériaux à base de GO peuvent également servir à tuer les agents pathogènes dentaires.
Désolé pour cet inventaire un peu long. Mais, il est important que vous compreniez les enjeux technologiques à l’œuvre depuis la découverte du graphène en 2004. Comme je l’ai dit en introduction, toutes ces applications en sont encore au stade de la recherche et du développement. La seule application commercialisée à ce jour concerne certains masques FFP2, où l’on a détecté du graphène multicouche et du graphite par spectroscopie Raman. Cela est bien sûr très inquiétant étant donné que l’emploi de cette substance est interdit, par manque de recul. Le problème de la présence de graphène ou de ses dérivés dans les produits actuellement injectés à l’échelle mondiale, fera l’objet d’une autre chronique
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