Le
président états-unien, Joe Biden, a qualifié son homologue russe,
Vladimir Poutine, de « boucher ». Puis il a déclaré « Pour l’amour de
Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir ! ». Le département d’État
a tenté de minorer ces déclarations en assurant que le président Biden
parlait uniquement d’exercer le pouvoir sur les voisins de la Russie,
mais il n’a pas précisé où la Russie exercerait un tel pouvoir.
Cet article fait suite à :
1. « La Russie veut contraindre les USA à respecter la Charte des Nations unies », 4 janvier 2022.
2. « Washington poursuit le plan de la RAND au Kazakhstan, puis en Transnistrie », 11 janvier 2022.
3. « Washington refuse d’entendre la Russie et la Chine », 18 janvier 2022.
4. « Washington et Londres, atteints de surdité », 1er février 2022.
5. « Washington et Londres tentent de préserver leur domination sur l’Europe », 8 février 2022.
6. « Deux interprétations de l’affaire ukrainienne », 15 février 2022.
7. « Washington sonne l’hallali, tandis que ses alliés se retirent », 22 février 2022.
8. « Vladimir Poutine déclare la guerre aux Straussiens », 5 mars 2022.
9. « Une bande de drogués et de néo-nazis », 5 mars 2022.
10 « Israël abasourdi par les néo-nazis ukrainiens », 8 mars 2022.
11. « Ukraine : la grande manipulation », 22 mars 2022.
Les opérations militaires de la Russie en Ukraine se déroulent depuis
plus d’un mois et les opérations de propagande de l’Otan depuis un mois
et demi.
Comme à chaque fois, la propagande de guerre des Anglo-Saxons est
coordonnée depuis Londres. Les Britanniques ont acquis depuis la
Première Guerre mondiale un savoir-faire sans équivalent. En 1914, ils
étaient parvenus à convaincre leur propre population que l’armée
allemande avait pratiqué des viols de masse en Belgique et qu’il était
du devoir de chaque Britannique de venir au secours de ces pauvres
femmes. C’était une version plus propre que d’évoquer la tentative du
Kaiser Wilhelm II de rivaliser avec l’Empire colonial anglais. À la fin
du conflit, la population britannique exigea que l’on indemnise les
victimes. On chercha à les recenser et l’on se rendit compte que les
faits avaient été extraordinairement exagérés.
Le
président Zelensky a déclaré la guerre à la Russie en donnant ordre aux
troupes bandéristes incorporées dans son armée d’attaquer les citoyens
russes du Donbass à partir du 17 février. Puis il a agité le chiffon
rouge en déclarant devant les dirigeants politiques des pays membres de
l’Otan qu’il allait acquérir la Bombe atomique en violation des traités
internationaux.
Cette fois, en 2022, les Britanniques sont parvenus à convaincre les
Européens que, le 24 février, les Russes ont attaqué l’Ukraine pour
l’envahir et l’annexer. Moscou tenterait de reconstituer l’Union
soviétique et s’apprêterait à attaquer successivement toutes ses
anciennes possessions. Cette version est plus honorable pour les
Occidentaux que d’évoquer le « piège de Thucydide » —j’y reviendrai—.
Dans la réalité, les troupes de Kiev ont attaqué leur propre population
du Donbass, le 17 février après-midi. Puis l’Ukraine a agité un chiffon
rouge devant le taureau russe avec le discours du président Zelenski
face aux dirigeants politiques et militaires de l’Otan réunis à Munich,
au cours duquel il a annoncé que son pays allait se doter de l’arme
atomique pour se protéger de la Russie.
Vous ne me croyez pas ? Voici les relevés de l’OSCE à la frontière du
Donbass. Il n’y avait plus de combats depuis des mois, mais les
observateurs de l’Organisation neutre ont observé, à partir du 17
février après-midi, 1 400 explosions par jour. Immédiatement, les
provinces rebelles de Donetsk et de Lougansk, qui se considéraient
toujours comme ukrainiennes, mais prétendaient à l’autonomie au sein de
l’Ukraine, ont déplacé plus de 100 000 civils pour les protéger. La
plupart se sont repliés à l’intérieur du Donbass, d’autres ont fui vers
la Russie.
En 2014 et 2015, lorsqu’une guerre civile avait opposé Kiev à Donestk
et à Lougansk, les dégâts matériels et humains ne ressortaient que des
affaires intérieures de l’Ukraine. Cependant, au cours du temps, la
presque totalité de la population ukrainienne du Donbass a envisagé
d’émigrer et a acquis la double nationalité russe. Par conséquent
l’attaque de Kiev contre la population du Donbass, le 17 février, était
une attaque contre des citoyens ukraino-russes. Moscou leur a porté
secours, en urgence, à partir du 24 février.
La chronologie est indiscutable. Ce n’est pas Moscou qui a voulu
cette guerre, mais bien Kiev, malgré le prix prévisible qu’il devrait en
payer. Le président Zelensky a délibérément mis son peuple en danger et
porte seul la responsabilité de ce qu’il endure aujourd’hui.
Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Depuis le début de son mandat, Volodymyr
Zelensky a poursuivi le soutien de l’État ukrainien, qui avait commencé
avec son prédécesseur Petro Porochenko, aux détournements de fonds
perpétrés par ses sponsors états-uniens et aux extrémistes de son pays,
les bandéristes. Le président Poutine a qualifié les premiers de « bande
de drogués » et les seconds de « bande de néo-nazis » [1 ] .
Non seulement Volodymyr Zelensky a publiquement déclaré qu’il ne
voulait pas résoudre le conflit du Donbass en appliquant les Accords de
Minsk, mais il a interdit à ses concitoyens de parler le russe à l’école
et dans les administrations et, pire, a signé une loi raciale le 1er
juillet 2021, excluant de facto les Ukrainiens revendiquant leur origine slave de la jouissance des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales.
L’armée russe a d’abord envahi le territoire ukrainien, non pas
depuis le Donbass, mais depuis la Biélorussie et la Crimée. Elle a
détruit l’ensemble des installations militaires ukrainiennes utilisées
par l’Otan depuis des années et a combattu les régiments bandéristes.
Elle se consacre désormais à les anéantir à l’Est du pays. Les
propagandistes de Londres et leurs presque 150 agences de communication
un peu partout dans le monde nous assurent que, repoussée par la
glorieuse Résistance ukrainienne, l’armée russe défaite a abandonné son
objectif initial de prendre Kiev. Or, jamais, absolument jamais, le
président Poutine n’a dit que la Russie prendrait Kiev, renverserait le
président élu Zelensky et occuperait son pays. Au contraire, il a
toujours dit que ses objectifs de guerre étaient de dénazifier l’Ukraine
et d’éliminer les stocks d’armes étrangères (celles de l’Otan). C’est
très exactement ce qu’il fait.
La population ukrainienne souffre. Nous découvrons que la guerre est
cruelle, qu’elle tue toujours des innocents. Nous sommes submergés
aujourd’hui par nos émotions et, comme nous ignorons l’attaque
ukrainienne du 17 février , nous en voulons aux Russes que nous
qualifions à tort d’« agresseurs ». Nous n’éprouvons pas la même
compassion pour les victimes de la guerre simultanée au Yémen, ses
200 000 morts, dont 85 000 enfants, morts de faim. Mais il est vrai que
les Yéménites ne sont aux yeux des Occidentaux « que des arabes ».
Le fait de souffrir ne doit pas a priori être interprété comme la preuve que l’on a raison. Les criminels souffrent comme les innocents.
La
délégation ukrainienne à la Cour internationale de Justice a réussi à ce
qu’il n’y ait pas de jugement sur le fond, mais une ordonnance posant
une mesure conservatoire contre la Russie.
La Cour internationale de Justice (CIJ), c’est-à-dire le tribunal
interne de l’Onu, a été saisie par l’Ukraine et a ordonné à titre
conservatoire, le 16 mars, à la Russie de cesser la guerre et de retirer
ses troupes [2 ] . Or, ainsi que je viens de le montrer le Droit donne raison à la Russie.
Comment une telle manipulation de la Cour est-elle possible ?
L’Ukraine a évoqué le fait que le président Poutine a déclaré, lors de
son discours sur l’opération militaire russe, que les populations du
Donbass étaient victimes d’un « génocide ». Elle a donc nié ce
« génocide » et accusé la Russie d’avoir indûment utilisé cet argument.
En droit international, le mot « génocide » ne désigne plus
l’éradication d’une ethnie, mais un massacre ordonné par un
gouvernement. Au cours des huit dernières années, 13 000 à 22 000 civils
ont été tués dans le Donbass selon que l’on se réfère aux statistiques
du gouvernement ukrainien ou à celles du gouvernement russe. La Russie,
qui avait envoyé sa plaidoirie par écrit, fait valoir qu’elle ne se
fonde pas sur la Convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, mais sur l’article 51 de la Charte des Nations unies
autorisant la guerre en légitime défense —ce que le président Poutine
avait explicitement déclaré lors de son discours—. Le Tribunal n’a pas
cherché à vérifier quoi que ce soit. Il s’en est tenu au démenti
ukrainien. Il a donc conclu que la Russie avait indûment utilisé la
Convention comme argument. En outre, la Russie n’ayant pas jugé
nécessaire de se faire représenter physiquement à la Cour, celle-ci a
utilisé son absence pour lui imposer une mesure conservatoire aberrante.
La Russie, sûre de son bon droit, a refusé d’obtempérer et réclame un
jugement sur le fond qui ne sera pas rendu avant la fin septembre.
Tout ceci étant posé, nous ne pouvons comprendre la duplicité des
Occidentaux qu’en replaçant les évènements dans leur contexte. Depuis
une dizaine d’année, les politologues états-uniens nous assurent que la
montée en puissance de la Russie et de la Chine conduiront à une
inévitable guerre. Le politologue Graham Allison a créé pour cela le
concept de « piège de Thucydide » [3 ] .
Il faisait référence aux guerres du Péloponnèse qui opposèrent au IVème
siècle avant J.C. Sparte à Athènes. Le stratège et historien Thucydide
analysa que les guerres étaient devenues inévitables lorsque Sparte, qui
dominait la Grèce, réalisa qu’Athènes conquérait un empire et pourrait
se substituer à son hégémonie. L’analogie est parlante, mais fausse : si
Sparte et Athènes étaient des cités grecques voisines, les États-Unis,
la Russie et la Chine n’ont pas la même culture.
À titre d’exemple, la Chine récuse la proposition de compétition
commerciale formulée par le président Biden. Elle lui oppose sa
tradition de « gagnant-gagnant ». Ce faisant, elle ne fait pas référence
à des contrats commerciaux profitables aux deux parties, mais à son
Histoire. L’« Empire du milieu » a une population extrêmement nombreuse.
L’empereur était contraint de déléguer son autorité au maximum.
Aujourd’hui encore la Chine est le pays le plus décentralisé au monde.
Lorsqu’il prenait un décret, celui-ci avait des conséquences pratiques
dans certaines provinces, mais pas dans toutes. L’empereur devait donc
s’assurer que chaque gouverneur local ne considérerait pas son décret
comme sans objet et n’oublierait pas son autorité. Il offrait alors une
compensation à ceux qui n’étaient pas concernés par le décret pour
qu’ils se sentent toujours soumis à son autorité.
Depuis le début de la crise ukrainienne, la Chine, non seulement
adopte une position non-alignée, mais protège son allié russe au conseil
de Sécurité des Nations unies. À tort, les États-Unis ont craint que
Beijing n’envoie des armes à Moscou. Cela n’a jamais été le cas, même
s’il y a une aide logistique en repas préparés pour les soldats par
exemple. La Chine observe comment les choses se passent et en déduit
comment elles se passeront lorsqu’elle tentera de récupérer la province
rebelle de Taïwan. Beijing a gentiment décliné les offres de Washington.
Il pense sur la longue durée et sait par expérience que s’il laisse
détruire la Russie, il sera une nouvelle fois pillé par les Occidentaux.
Son salut n’est possible qu’avec la Russie, même s’il doit un jour la
contester en Sibérie.
Revenons au piège de Thucydide. La Russie sait que les États-Unis
veulent l’effacer de la scène. Elle anticipe une possible
invasion/destruction. Or, son territoire est immense et sa population
insuffisamment nombreuse. Elle ne peut défendre ses frontières trop
grandes. Elle a, depuis le XIXème siècle, imaginé de se défendre en se
dérobant à ses adversaires. Lorsque Napoléon, puis Hitler, l’ont
attaquée, elle a déplacé sa population toujours plus à l’Est. Et elle a
brûlé elle-même ses propres villes avant l’arrivée de l’envahisseur.
Celui-ci s’est trouvé dans l’incapacité d’approvisionner ses troupes. Il
a dû affronter l’hiver sans moyens et, en définitive, battre en
retraite. Cette stratégie de la « terre brûlée » n’a fonctionné que
parce que ni Napoléon, ni Hitler n’avaient de bases logistiques à
proximité. Aussi la Russie moderne sait qu’elle ne pourra pas survivre
si des armes états-uniennes sont entreposées en Europe centrale et
orientale. C’est pourquoi, à la fin de l’Union soviétique, la Russie a
demandé que jamais l’Otan ne s’étende à l’Est. Le président français
François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Köhl, qui
connaissaient l’Histoire, exigèrent donc que les Occidentaux prennent
cet engagement. Lors de la réunification allemande, ils rédigèrent et
signèrent un traité garantissant que jamais l’Otan ne franchirait la
ligne Oder-Neisse, c’est-à-dire la frontière germano-polonaise.
La Russie a fait inscrire cet engagement dans le marbre en 1999 et en
2010 avec les déclarations de l’OSCE d’Istanbul et d’Astana. Mais les
États-Unis l’ont violé en 1999 (adhésion de la Tchéquie, de la Hongrie
et de la Pologne à l’Otan), en 2004 (Bulgarie, Estonie, Lettonie,
Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie), en 2009 (Albanie et
Croatie), en 2017 (Monténégro), et encore en 2020 (Macédoine du Nord).
Le problème n’est pas que tous ces États se soient alliés avec
Washington, mais qu’ils aient entreposé des armes états-uniennes chez
eux. Personne ne critique que ces États aient choisis leurs alliés, mais
Moscou leur reproche de servir de base arrière au Pentagone en
préparation d’une attaque de la Russie.
Victoria
Nuland n’a pas connu personnellement Leo Strauss, mais a été formée à
sa pensée par son mari, Robert Kagan. Ensemble les deux époux ont fondé
le Projet pour un nouveau siècle américain ; le think tank qui appelait
de ses voeux une catastrophe comparable à celle de Pearl Harbour afin de
pouvoir imposer leur politique. Les attentats du 11 septembre 2001
furent pour eux une « divine surprise ». Comme la guerre en Ukraine, ces
attentats ignobles n’ont pas ébranlé la puissance US, mais lui ont au
contraire permis de durer.
En octobre 2021, la straussienne [4 ]
Victoria Nuland, la numéro 2 du département d’État est venue à Moscou
pour sommer la Russie d’accepter le déploiement d’armes US en Europe
centrale et orientale. Elle a promis que Washington investirait en
contrepartie en Russie. Puis elle a menacé la Russie si celle-ci
n’acceptait pas son offre et elle a conclu qu’il ferait juger le
président Poutine devant un Tribunal international. Moscou a répondu en
adressant, le 17 décembre, une proposition de Traité garantissant la
paix sur la base du respect de la Charte des Nations unies. C’est ce qui
a provoqué l’orage actuel. Car respecter la Charte, fondée sur le
principe de l’égalité et de la souveraineté des États, suppose de
réformer l’Otan dont le fonctionnement est au contraire fondé sur une
hiérarchie entre ses membres. Pris dans le « piège de Thucydide », les
États-Unis ont alors fomenté la guerre actuelle en Ukraine.
Si nous admettons que leur but est de rayer la Russie de la scène
internationale, la manière dont les Anglo-Saxons réagissent à la crise
ukrainienne devient limpide. Ils ne cherchent pas à repousser
militairement l’armée russe, ni à gêner le gouvernement russe, mais à
faire disparaître toute trace de la culture russe en Occident. Et
subsidiairement, ils tentent d’affaiblir l’Union européenne.
Ils ont commencé avec le gel des avoirs des oligarques russes en
Occident ; une mesure qui a été applaudie par la population russe qui
les considère comme d’illégitimes bénéficiaires du pillage de l’URSS.
Puis ils ont imposé aux entreprises occidentales de cesser leurs
activités avec la Russie. Enfin, ils ont continué en coupant les banques
russes d’accès aux banques occidentales (le système SWIFT). Or, si ces
mesures financières ont été désastreuses pour les banques russes (mais
par pour le gouvernement russe), les mesures contre les entreprises
travaillant en Russie sont au contraire favorables à la Russie qui
récupère leurs investissements à moindre frais. D’ailleurs, la Bourse de
Moscou, qui avait été fermée du 25 février (lendemain de la riposte
russe) au 24 mars, a enregistré une progression dès sa réouverture.
Certes l’indice RTS a reculé le premier jour de 4,26 %, mais il mesure
surtout des valeurs spéculatives, au contraire l’indice IMOEX, qui
mesure l’activité économique nationale, a augmenté de 4,43 %. Les vrais
perdants des mesures occidentales sont les membres de l’Union européenne
qui ont eu la bêtise de les prendre.
Paul
Wolfowitz a été introduit à la pensée de Leo Strauss par son professeur
de philosophie, Alan Bloom. Par la suite, il est devenu élève du maître,
directement auprès de lui à l’université de Chicago. Leo Strauss
l’avait convaincu que les juifs ne doivent rien attendre des
démocraties. Pour ne pas endurer une nouvelle Shoah, ils doivent
construire eux-mêmes leur propre Reich. Il vaut mieux être du côté du
manche que de la cognée.
Déjà, en 1991, le straussien Paul Wolfowitz écrivait dans un rapport
officiel que les États-Unis devaient empêcher qu’une puissance puisse se
développer au point de rivaliser avec eux. À l’époque, l’URSS était en
miettes. Aussi désigna-t-il l’Union européenne comme le rival potentiel à
abattre [5 ] .
C’est très exactement ce qu’il fit en 2003, lorsque devenu numéro 2 du
Pentagone, il interdit à l’Allemagne et à la France de participer à la
reconstruction de l’Iraq [6 ] .
C’est aussi ce dont parla Victoria Nuland, en 2014, lorsqu’elle donna
comme consigne à son ambassadeur US à Kiev d’« enculer l’Union
européenne » (sic) [7 ] .
L’Union européenne est aujourd’hui sommée de stopper ses importations
d’hydrocarbures russes. Si elle obtempère à cette injonction,
l’Allemagne sera ruinée et avec elle toute l’Union. Ce ne sera pas un
dommage collatéral, mais le fruit d’une pensée structurée, clairement
exprimée depuis trente ans.
Le plus important pour Washington est d’exclure la Russie de toutes
les organisations internationales. Il est déjà parvenu, en 2014, à
l’exclure du G8. Le prétexte était non pas l’indépendance de la Crimée
(que celle-ci réclamait depuis la dissolution de l’URSS, plusieurs mois
avant que l’Ukraine ne songe à sa propre indépendance), mais son
adhésion à la Fédération de Russie. La prétendue agression de l’Ukraine
fournit un prétexte pour l’exclure du G20. La Chine a immédiatement fait
remarquer que personne ne pouvait être exclu d’un forum informel ne
disposant pas de statuts. Peu importe, le président Biden est revenu à
la charge les 24 et 25 mars en Europe.
Washington multiplie les contacts pour exclure la Russie de
l’Organisation mondiale du Commerce. De toute manière, les principes de
l’OMC sont battus en brèche par les « sanctions » unilatérales mises en
œuvre par les Occidentaux. Une telle décision serait préjudiciable aux
deux camps. C’est là qu’il convient de se reporter aux écrits de Paul
Wolfowitz. Il écrivait en effet en 1991 que Washington ne doit pas
chercher à être le meilleur dans ce qu’il fait, mais à être le premier
par rapport aux autres. Cela implique, notait-il, que pour maintenir
leur hégémonie, les États-Unis ne doivent pas hésiter à se faire du mal,
s’ils en font beaucoup plus aux autres. Nous allons tous faire les
frais de cette manière de raisonner.
Le plus important pour les Straussiens est d’exclure la Russie des
Nations unies. Ce n’est pas possible si l’on respecte la Charte des
Nations unies, mais Washington ne s’en encombrera pas plus là
qu’ailleurs. D’ores et déjà, il a pris contact avec chaque État-membre
de l’Onu à quelques exceptions près. La propagande anglo-saxonne étant
déjà parvenue à leur faire prendre des vessies pour des lanternes, tous
sont convaincus qu’un membre du Conseil de sécurité s’est lancé dans une
guerre de conquête contre un de ses voisins. Si Washington parvient à
convoquer une Assemblée générale extraordinaire de l’Onu et à en
modifier les statuts, il parviendra à ses fins.
Une sorte d’hystérie s’est emparée de l’Occident. On fait la chasse à
tout ce qui est russe sans réfléchir à ses liens avec la crise
ukrainienne. On interdit aux artistes russes de se produire même s’ils
sont réputés opposés au président Poutine. Ici une université interdit
l’étude du héros anti-soviétique Soljenitsyne de leur cursus, là-bas une
autre interdit l’écrivain du débat et du libre-arbitre Dostoïevski
(1821-1881) qui s’opposa au régime tsariste. Ici on déprogramme un chef
d’orchestre parce qu’il est russe et là-bas on supprime Tchaïkovski
(1840-1893) du répertoire. Tout ce qui est russe doit disparaître de
notre conscience comme jadis l’Empire romain a rasé Carthage et
méthodiquement détruit toute trace de son existence, au point
qu’aujourd’hui nous ne savons pas grand-chose de cette civilisation.
Le 21 mars, le président Biden ne s’en est pas caché. Devant un
parterre de chefs d’entreprises, il a déclaré « C’est le moment où les
choses changent. Il va y avoir un Nouvel Ordre Mondial et nous devons le
diriger. Et nous devons unir le reste du monde libre pour le faire » [8 ] . Ce nouvel ordre [9 ]
devrait couper le monde en deux blocs hermétiques ; une coupure telle
que nous n’en avons jamais connue, sans comparaison possible avec le
rideau de fer de la Guerre froide. Certains États, comme la Pologne,
pensent pouvoir y perdre beaucoup comme les autres, mais aussi gagner un
peu. Ainsi, le général Waldemar Skrzypczak vient-il de réclamer que
l’enclave russe de Kaliningrad devienne polonaise [10 ] . En effet, après la coupure du monde, comment Moscou pourra-t-il communiquer avec ce territoire ?
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