Vents contraires sur les « Big Tech »
De : https://www.investigaction.net/fr/vents-contraires-sur-les-big-tech/
Vents contraires sur les « Big Tech »
Ces dernières années, beaucoup d’observateurs (y compris moi-même) ont souligné le changement d’époque qu’illustrait l’évolution récente de l’indice des plus grosses capitalisations boursières mondiales : en l’espace d’une dizaine d’années, les GAFAM avaient en effet remplacé les géants de l’énergie au sommet du classement [1]. Une évolution notamment interprétée par le fait que les données numériques représentaient le « nouvel or noir du 21e siècle » [2].
La pandémie a également permis de consolider cette croyance, avec des confinements qui ont largement dopé les résultats et les cours des géants du numérique [3]. Or, ce qu’il se passe depuis quelques mois sur les marchés nous rappelle que ces succès reposaient également sur des facteurs beaucoup plus fragiles que le seul « pouvoir des données ».
La fin du « cash » abondant
Le premier, c’était la disponibilité depuis la crise économique et financière de 2008 de quantités massives de capitaux en quête de placements rémunérateurs dans un contexte de taux bas et de croissance amorphe [4]. Une situation idéale pour des entreprises technologiques qui représentent généralement un pari risqué sur l’avenir, notamment en raison de leur modèle de croissance souvent basé sur l’acquisition rapide et à perte de positions dominantes avant de commencer à engranger des profits… pour celles qui y arrivent (la fameuse « Cash Burn strategy » [5]). Problème : avec l’augmentation soudaine de l’inflation ces derniers mois, les banques centrales – à commencer par la Réserve fédérale américaine – ont commencé à resserrer la vis sur la politique monétaire. En témoignent notamment, aux États-Unis, des hausses de taux historiques qui rendent tout à coup beaucoup plus hasardeux les investissements dans les « valeurs technologiques » [6].
Fondements matériels de « l’économie immatérielle »
C’est d’autant plus le cas que dans une conjoncture désormais moins favorable, les géants du secteur ont presque tous affiché des résultats décevants ces derniers mois [7]. Parmi les éléments en cause, la fin des confinements dans de nombreuses régions du monde, les offensives législatives contre le numérique, en particulier en Chine et en Europe [8], mais aussi les tensions qui persistent sur les chaînes d’approvisionnement du secteur, avec en particulier la poursuite des pénuries dans le domaine des semi-conducteurs [9] ou encore les confinements draconiens réimposés dans des villes comme Shanghaï, où sont assemblés une proportion énorme des appareils électroniques mondiaux [10]. Autant d’éléments qui mettent crûment en lumière la profonde matérialité sur laquelle repose encore et malgré tout « l’économie immatérielle », ce qui constitue sa deuxième fragilité importante.
Apple détrônée
Or, en face, malgré l’urgence absolue qu’il y a à sortir des combustibles fossiles pour espérer limiter la casse d’un point de vue environnemental, ces derniers continuent de représenter la vaste proportion de l’énergie consommée à travers le monde et ils restent centraux dans les processus de production de nombreuses industries clés. Dans ce contexte, à la faveur de la guerre en Ukraine et de ses conséquences sur la hausse des prix de l’énergie, le géant pétrole saoudien Saudi Aramco vient de détrôner Apple au sommet du classement des plus grosses capitalisations boursières mondiales [11]. Tout un symbole…
De là à dire que tout ce qui a été dit et écrit sur le pouvoir inédit des plateformes numériques était faux, il y a évidemment un pas qu’il faut se garder de franchir. Mais tous ces événements doivent nous rappeler que leur récente suprématie est plus fragile et contradictoire qu’il n’y parait.
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