« Être un ennemi de l’Amérique peut être dangereux, mais être un ami est fatal. »
De : https://reseauinternational.net/les-elites-francaises-craignent-les-etats-unis-en-prive/
Les élites françaises craignent les États-Unis
en privé
Vous êtes sous contrôle
par Felix Livshitz. 19 novembre 2022
Les services de renseignement s’inquiètent davantage de la guerre économique américaine que du terrorisme ou de la perspective d’une confrontation avec la Russie ou la Chine.
De nouvelles recherches publiées par l’École de Guerre économique ont révélé des résultats extraordinaires sur qui et ce que les services de renseignement français craignent le plus lorsqu’il s’agit de menaces pour l’économie du pays.
Les résultats sont basés sur des recherches approfondies et des entretiens avec des experts du renseignement français, y compris des représentants d’agences d’espionnage, et reflètent donc les positions et la pensée de spécialistes dans le domaine peu étudié de la guerre économique. Leur opinion collective est très claire : 97% d’entre eux considèrent que les États-Unis sont la puissance étrangère qui « menace le plus » les « intérêts économiques » de Paris.
Qui est votre véritable ennemi ?
Cette recherche a été menée pour répondre à la question « que deviendra la France dans un contexte de guerre économique de plus en plus exacerbé ? ». Cette question est devenue de plus en plus urgente pour l’UE car les sanctions occidentales sur les exportations de Moscou, en particulier l’énergie, ont eu un effet catastrophique sur les pays européens, mais n’ont pas eu l’effet prévu sur la Russie. Elles n’ont pas non plus nui aux États-Unis, le pays qui a poussé le plus énergiquement à l’adoption de ces mesures.
Pourtant, la question ne se pose pas dans les autres capitales européennes. C’est précisément l’échec à l’échelle du continent, ou du moins le manque de volonté, de prendre en compte les « répercussions négatives sur la vie quotidienne » des citoyens européens qui a inspiré le rapport de l’École de Guerre économique.
Comme l’explique l’auteur principal du rapport, Christian Harbulot, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France « vit dans un état de non-dit », comme d’autres pays européens.
À l’issue de ce conflit, la « peur manifeste » des élites françaises de voir le Parti communiste prendre le pouvoir en France « a fortement incité une partie de la classe politique à placer notre sécurité entre les mains des États-Unis, notamment en réclamant l’établissement de bases militaires permanentes en France. »
« Il va sans dire que tout a un prix. La contrepartie de cette aide venue d’outre-Atlantique a été de nous faire entrer dans un état de dépendance globale – monétaire, financière, technologique – à l’égard des USA », indique Harbulot. Et à part entre 1958 et 1965, lorsque le général Charles de Gaulle a tenté d’accroître l’autonomie de Paris par rapport à Washington et à l’OTAN, les dirigeants français sont « rentrés dans le rang ».
Cette acceptation signifie qu’à l’exception de rares scandales publics tels que la vente d’actifs français à des sociétés américaines ou l’annulation par l’Australie de son achat de sous-marins de fabrication française en faveur d’un accord controversé avec les États-Unis et le Royaume-Uni (AUKUS), le grand public reconnaît peu – et encore moins discute – de la manière dont Washington exerce un degré significatif de contrôle sur l’économie française, et donc sur la politique.
Par conséquent, les politiciens et le public ont du mal à identifier « qui est vraiment leur ennemi ». « Dans les sphères de pouvoir » à travers l’Europe, dit Harbulot, « il est d’usage de taire ce genre de problème », et la guerre économique reste une « confrontation souterraine qui précède, accompagne puis prend le relais des conflits militaires classiques. »
Cela signifie à son tour que tout débat sur « l’hostilité ou la nocivité » des relations de l’Europe avec Washington passe à côté du point sous-jacent, à savoir que « les États-Unis cherchent à assurer leur suprématie sur le monde, sans s’afficher comme un empire traditionnel. »
L’UE a beau avoir un excédent commercial de 150 milliards d’euros avec les États-Unis, ces derniers ne laisseront jamais volontairement cet avantage économique se traduire par une « autonomie stratégique » à leur égard. Et ce gain est obtenu dans un contexte constant – et plus que compensé – de « fortes pressions géopolitiques et militaires » de la part des États-Unis à tout moment.
J’espionne avec mes cinq yeux
M. Harbulot estime que l’« état des non-dits » est encore plus prononcé en Allemagne, car Berlin « cherche à établir une nouvelle forme de suprématie au sein de l’Europe » fondée sur sa dépendance à l’égard des États-Unis.
Comme la France « n’est pas dans une phase de construction de puissance mais plutôt dans une recherche de préservation de sa puissance » – un état de fait « très différent » – cela devrait signifier que les Français peuvent plus facilement reconnaître et admettre la dépendance toxique vis-à-vis de Washington, et la considérer comme un problème qui doit être résolu.
Il est certainement difficile d’imaginer qu’un rapport aussi éclairant et honnête soit produit par un institut universitaire basé à Berlin, alors que le pays est le plus durement touché par les sanctions anti-russes. Certains analystes ont parlé d’une possible désindustrialisation de l’Allemagne, car son incapacité à alimenter des secteurs économiques à forte intensité énergétique a détruit son excédent commercial de 30 ans – peut-être pour toujours.
Mais outre le fait que la « dépendance » de la France vis-à-vis de Washington est différente de celle de l’Allemagne, Paris a d’autres raisons de cultiver une « culture du combat économique » et de suivre de très près les « intérêts étrangers » qui nuisent à l’économie et aux entreprises du pays.
Un ordre d’espionnage de l’Agence nationale de sécurité des États-Unis envoyé à d’autres membres du réseau d’espionnage mondial Five Eyes – Australie, Canada, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni – publié par WikiLeaks, montre que, depuis au moins 2002, Washington adresse à ses alliés anglophones des demandes annuelles de « besoin d’information », afin d’obtenir toutes les informations qu’ils peuvent trouver sur les activités économiques des entreprises françaises, les politiques économiques et commerciales du gouvernement français et les points de vue de Paris sur les sommets annuels du G8 et du G20.
Tout ce qui est découvert est partagé avec les principaux décideurs et départements économiques américains, notamment la Réserve fédérale et le Trésor, ainsi que les agences de renseignement, comme la CIA. Un autre communiqué classifié de WikiLeaks montre que cette dernière – entre novembre 2011 et juillet 2012 – a employé des espions des cinq yeux (OREA) pour infiltrer et surveiller les campagnes des partis et des candidats à l’élection présidentielle française.
Washington était particulièrement inquiet d’une victoire du Parti socialiste, et a donc cherché à obtenir des informations sur une variété de sujets, « pour préparer les principaux décideurs américains au paysage politique français post-électoral et à l’impact potentiel sur les relations entre les États-Unis et la France ». Un intérêt particulier a été porté à « l’opinion des candidats à la présidence sur l’économie française, les politiques économiques actuelles […] qu’ils considèrent comme ne fonctionnant pas, et les politiques […] qu’ils promeuvent pour aider à stimuler les perspectives de croissance économique de la France […] ».
La CIA était également très intéressée par les « points de vue et la caractérisation » des États-Unis de la part des candidats à la présidence, ainsi que par tout effort de ces derniers et des partis qu’ils représentaient pour « entrer en contact avec les dirigeants d’autres pays », y compris certains des États qui forment le réseau Five Eyes lui-même.
Naturellement, ces membres ne seraient pas conscients que leurs amis de Washington, et d’autres capitales des Cinq Yeux, les espionneraient pendant qu’ils espionnent la France.
Ce n’est manifestement pas pour rien que le vétéran de la grande stratégie américaine et ancien secrétaire d’État Henry Kissinger a fait remarquer un jour : « être un ennemi de l’Amérique peut être dangereux, mais être un ami est fatal. »
source : Russia Today via Arrêt sur Info
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