L'épargne des ménages pour financer la crise
De: https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2021/09/02/d-ou-vient-l-argent
Via Ciel Voilé
D’où vient l’argent ?
Si vous êtes économiste comme moi, peut-être avez-vous été assailli(e) par vos proches durant la pause estivale, autour de la question suivante :
D’où vient l’argent ?
Tout le monde a en tête le circuit normal de l’argent dans l’économie : les entreprises rémunèrent leurs salariés pour leur travail ; cette rémunération fournit l’essentiel de leurs revenus aux ménages, lesquels en dépensent la majorité pour consommer des biens et des services produits par les entreprises, lesquelles rémunèrent les salariés, etc. (graphique 1).
L’Etat semblait désargenté, il essayait de réduire le déficit, menait des réformes en ce sens ; et puis soudain, virage à 180°, il déverse des milliards pour financer les masques, les tests, les vaccins, mais aussi les entreprises dont le chiffre d’affaires s’est effondré lors de la crise sanitaire, et les ménages dont les revenus sans cela se seraient affaissés. Nos entreprises n’avaient plus de clients, et pourtant nous étions toujours payés en fin de mois. Comment ce miracle est-il possible ? Où est le loup ? |
Graphique 1 : le circuit normal de l’argent dans l’économie
Lors du premier confinement, en mars 2020, les dépenses de consommation ont brutalement chuté, de manière inégale selon les secteurs ; les secteurs aval (comme les restaurants) ont réduit leurs achats de biens intermédiaires (comme les bouteilles de vin) ; c’est ainsi que la chute du chiffre d’affaires s’est propagée dans l’économie (voir Barrot, Grassi et Sauvagnat, 2020). J’illustrerai ici le propos sur le cas de la France, mais les schémas sont identiques qualitativement dans les autres pays avancés.
Graphique 2 : dépenses de consommation des ménages en volume
(Indice 100 au 4ème trimestre 2019)
Source : Insee, Comptes trimestriels (30/07/2021) et Note de conjoncture (01/07/2021).
Prévisions à partir du 3ème trimestre 2021.
Privées de chiffre d’affaires, de nombreuses entreprises ne pouvaient plus payer leurs salariés, enrayant un peu plus encore le circuit présenté sur le graphique 1. Pour éviter cette amplification catastrophique de la crise économique, le Gouvernement a très rapidement mis en place trois types de soutiens :
- Des subventions directes, à travers notamment le fonds de solidarité et les exonérations de cotisations sociales ;
- Une large extension du dispositif d’activité partielle ;
- Des prêts garantis par l’Etat et des reports de cotisations et d’échéances fiscales.
Ces soutiens ont permis aux entreprises de continuer de verser les salaires. Le pouvoir d’achat du revenu disponible brut a ainsi augmenté en moyenne de 0,4 % en 2020 selon l’Insee, alors que le PIB baissait de 7,9 % (graphique 3).
Graphique 3 : PIB en volume et pouvoir d’achat du revenu disponible brut (RDB)
Indice 100 en 2019
Source : Insee, Note de conjoncture 1er juillet 2021. Prévisions pour 2021.
Ainsi, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages a augmenté en 2020 et 2021, mais leur consommation est restée déprimée en moyenne sur la période. L’épargne des ménages a donc fortement augmenté. Cette épargne a été principalement thésaurisée sous forme liquide : dépôts bancaires, livrets d’épargne (graphique 4).
Graphique 4 : flux nets de placements liquides des ménages français
Les ménages auraient pu prêter directement cet argent à l’État, mais c’était compliqué et peu rémunérateur, puisque les taux d’intérêt étaient (et sont toujours) négatifs. Ils l’ont en fait principalement laissé sur leurs comptes bancaires ou leurs livrets d’épargne.
Comment les banques ont-elles placé votre argent ? Elles avaient schématiquement quatre choix possibles :
- Conserver les sommes sous forme de dépôts à la banque des banques (la Banque centrale européenne – BCE – via la Banque de France) ;
- Acheter des titres de dette publique française ;
- Prêter aux entreprises et ménages français ;
- Prêter aux États et entreprises étrangers.
Les deux premiers placements portaient des taux d’intérêt négatifs, mais c’était le prix à payer pour conserver l’argent en sécurité. Les banques ont ainsi réparti leurs avoirs sur les quatre types de placements.
Cependant, la BCE a cherché à inciter les banques à prêter davantage au secteur privé. Pour cela, elle leur a proposé de racheter leurs titres de dette publique, non seulement les titres à court terme, mais aussi les obligations à long terme. Ce faisant, elle voulait les inciter à prêter à d’autres que l’État, tout en faisant pression à la baisse sur les taux d’intérêt payés par tous les emprunteurs – publics et privés. In fine, l’objectif était d’empêcher la zone euro de sombrer dans une spirale déflationniste : faciliter l’intervention publique, inciter les ménages à consommer et les entreprises à maintenir leurs programmes d’investissement ; en bref, soutenir un certain niveau de demande malgré les restrictions et les incertitudes.
L’ensemble constitué des banques commerciales et de la banque centrale a donc recyclé l’épargne des ménages pour prêter à l’État, lequel a aidé les entreprises à continuer de verser des revenus aux ménages : le circuit normal de la dépense étant bloqué, l’État a mis en place, avec l’aide de la BCE, une sorte de déviation temporaire (graphique 5). En maintenant des taux d’intérêt très bas, la BCE a aussi réduit le coût de l’endettement supplémentaire de l’État tout en incitant les entreprises et les ménages à ne pas trop couper dans leurs dépenses.
Graphique 5 : le circuit de l’argent dans l’économie Covid
Sur l’ensemble de l’année 2020, les ménages français ont épargné environ 100 Md€ de plus qu’en 2019. Ils ont également moins investi, si bien que leur épargne financière a crû d’environ 110 Md€. De leur côté, les administrations publiques ont financé 73,7 Md€ de mesures exceptionnelles (dont 27,4 Md€ au titre de l’activité partielle, 15,9 Md€ pour le fonds de solidarité et 14 Md€ en dépenses exceptionnelles de santé – montants mesurées en comptabilité nationale). L’État a aussi garanti 130 Md€ de prêts aux entreprises et leur a accordé de nombreux reports de cotisations (voir le détail dans le Rapport du comité de suivi, juillet 2021). Du côté des recettes, l’État a souffert de la chute de l’activité, qui a réduit quasi proportionnellement les différentes assiettes fiscales (les prélèvements obligatoires ont toutefois montré une certaine résistance à la crise en se repliant moins que l’activité).
Comptablement, le déficit des administrations publiques en 2020 (212 Md€ au compte provisoire des administrations publiques 2020) et le besoin de financement résiduel des entreprises françaises (30 Md€) ont été financés en grande partie par les ménages (180 Md€), via le système financier, le reste (60 Md€) étant comblé par les investisseurs étrangers. La monnaie créée par le système bancaire (au premier rang duquel la BCE) ne modifie pas cette comptabilité. En effet, les dépôts bancaires des ménages et des entreprises sont assimilables à de la dette des banques à leur égard ; et lorsque vous retirez 20 euros d’un distributeur de billets, vous ne faites que transformer une forme d’actif (un dépôt bancaire) en une autre (un billet), sans modifier le total. Ainsi, les banques ont « emprunté » auprès des ménages et des entreprises autant qu’elles leur ont prêté. Les achats massifs de dette publique par la BCE ont gonflé son bilan de manière équilibrée à l’actif et au passif. Autrement dit, la BCE a créé autant de moyens de paiement qu’elle a acquis de titres de dette publique.
Avec la réouverture de l’économie, les ménages ont retrouvé le chemin de la consommation et l’argent a retrouvé son circuit « normal ». Toutefois, chacun sort de la crise avec de l’épargne accumulée (ménages), de la dette accumulée (entreprises et surtout État), ou les deux à la fois (banques commerciales, BCE, cf. graphique 6). La question centrale va être la façon dont ces stocks d’actifs et de dettes vont influencer les flux nouveaux de production et de dépense, et comment ils peuvent progressivement se dégonfler sans enrayer la reprise.
Graphique 6 : le circuit de l’argent dans l’après-Covid
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