"La justice n’a donc pas besoin de clopinettes. Elle a besoin d’indépendance."
Etat généraux de la justice :
le problème est le président
Pour de vrais états généraux de la justice, il faut aussi réformer l’exécutif et la fonction du président de la République.
Par Jonathan Frickert.
Avant d’être à l’origine de 1789, les états généraux étaient une institution d’ancien régime ayant autorité pour statuer sur les questions dynastiques et fiscales, la monarchie considérant déjà à l’époque qu’il ne saurait y avoir d’impôt sans consentement.
Créés au XIVe siècle par un précurseur de la centralisation, les états généraux étaient l’incarnation d’une forme de décentralisation propre à la monarchie.
Il est donc étonnant que l’expression états généraux désigne aujourd’hui d’énièmes comités Théodules, aux côtés des Ségur et des Grenelles, bien loin de leurs significations initiales.
Les états généraux de la justice ouverts ce lundi n’infirmeront pas cette impression.
À 7 mois de l’élection présidentielle, ils visent en réalité à constituer une ossature programmatique aux frais du contribuable pour un président sortant tentant d’enjamber la prochaine échéance électorale, de la même manière que le plan d’investissement France 2030, le projet de loi de programmation et d’orientation pour la sécurité intérieure et l’expérimentation des écoles du futur constituent ni plus ni moins que les volets économiques, sécuritaires et éducatifs du futur programme macronien.
S’inscrivant dans cette séquence préélectorale, ces états généraux oublient que le problème de la justice, c’est Emmanuel Macron lui-même.
L’impossible indépendance judiciaire
Ouverts ce lundi, les 120 jours de travaux et de débats des états généraux de la justice devraient dévoiler leurs propositions fin février 2022, en pleine période de dépôt des signatures des candidats à l’élection présidentielle.
Cent vingt jours pour restaurer le pacte civique et l’efficacité du service public de la justice selon les mots du chef de l’État. Un événement encadré par un comité chargé d’en assurer un semblant d’indépendance.
Dans un pays où la justice n’est pas un pouvoir indépendant, mais une simple autorité, les membres du comité chargé d’assurer l’indépendance de ces états généraux sont eux-mêmes des magistrats, par définition nommés par l’exécutif selon les normes en vigueur dans l’Hexagone.
Le comité est en effet dirigé par Jean-Marc Sauvé, tout récemment à la tête de la Commission sur les abus sexuels dans l’Église et ancien premier vice-président du Conseil d’État nommé par décret en Conseil des ministres par Jacques Chirac fin 2006.
Le comité comprend également le premier procureur près la Cour de cassation et anciennement près le tribunal judiciaire de Paris François Molins, ainsi que Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, tous deux nommés par décrets présidentiels.
Ces états généraux sont définitivement marqués par la patte élyséenne.
Macron fait du Macron
Sans grande surprise, Macron fait du Macron. Le chef de l’État aura beau dénoncer les « lourdeurs du service public », évoquer « remise à plat » et « big bang », une responsabilité des élus et des fonctionnaires voire même la judiciarisation de la vie politique dont il fut pourtant le principal bénéficiaire en 2017, l’ethos d’Emmanuel Macron est bien connu : des propos forts, souvent polémiques, mais rarement suivis de faits, prenant en compte le malaise frappant la magistrature tout en imposant la cohabitation d’un ministre de l’Intérieur au ton sarkozien et un garde des Sceaux ancien avocat d’un frère de Mohammed Merah.
Les états généraux de la justice : un sujet anecdotique
Ces états généraux fleurent donc une récupération politique que l’approche transpartisane n’aidera pas à camoufler.
En effet, les professionnels du secteur se sont rapidement souvenus que le président de la République en exercice, pourtant garant de l’indépendance de la justice, n’a pas prononcé un seul discours sur le sujet en 4 ans et demi de mandat.
Et malgré la disruption bienvenue d’un garde des Sceaux inspiré par le modèle anglo-saxon, la nomination d’Éric Dupond-Moretti n’a rien arrangé aux relations entre le président de la République et le secteur judiciaire.
Et la litanie de mesurettes évoquées par l’exécutif pour défendre son bilan n’y changera rien. Si le gouvernement se targue d’une hausse de 1,3 milliard d’euros du budget de la justice depuis 2019, ce dernier ne représente toujours que 1,45 % du budget général de l’État, soit trois fois moins que le budget de l’audiovisuel d’État, pompeusement qualifié d’audiovisuel « public ».
Au total, le budget des missions régaliennes au sens strict (police, justice, armée) représente moins de 12 % du budget total de la cinquième puissance mondiale.
L’inévitable concentration des pouvoirs
Il est en effet particulièrement risible de parler d’états généraux de la justice dans un régime comme celui de la France. Souvent qualifiée de monarchie républicaine, la Cinquième république est pourtant plus proche des régimes russe, hongrois ou turc que des monarchies européennes. Depuis 1958, et encore plus depuis l’émergence du quinquennat, la France dispose d’un haut niveau de concentration des pouvoirs.
Historiquement, l’État a toujours tenté d’absorber l’ensemble des pouvoirs présents dans la société. En France, aujourd’hui, nous avons atteint un nouveau stade : l’ensemble des pouvoirs accaparés par l’État est concentré à l’Élysée.
Depuis le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, un autre pouvoir, et non des moindres, est également accaparé par le Château : le pouvoir législatif, dont la composition fixée 6 semaines après l’élection présidentielle en dépend largement. Du fait du dernier mot donné à l’Assemblée nationale en cas de désaccord entre les chambres, nous vivons dans un régime monocaméral de fait, c’est-à-dire ne disposant que d’une seule chambre.
Le Sénat, représentant les territoires, est donc mis de côté par la pratique. Ne parlons pas du CESE, qui représente pour sa part les forces économiques du pays, et qui aurait tout intérêt à être transformé en chambre législative à part entière voire à être fusionné avec le Sénat pour devenir une véritable Chambre des Lords à la Française à la manière de la proposition gaullienne de 1969.
Il n’en est rien. S’il est reconnu constitutionnellement comme une troisième assemblée, il ne s’agit que d’une simple agence publique consultative.
Autant d’exemples qui, sans être évidemment exhaustifs, en disent long sur la concentration des pouvoirs en France.
Or, plus les pouvoirs dans une société sont éclatés et plus la liberté et la justice y sont présentes.
Une fonction de représentation
Les défenseurs de la liberté le savent : le fait que l’État se mêle de la vie des gens est une aberration. Tel est d’autant plus le cas pour la fonction suprême.
Dans une démocratie normale, aucun candidat à l’élection présidentielle ne devrait avoir de programme. Cela devrait être réservé aux élections législatives, où se joue la fonction de gouvernance. Dans les régimes parlementaires, le gouvernement dépend des députés, le chef de l’État se limitant à nommer ses membres.
Et ce domaine présidentiel doit d’autant plus exclure la question judiciaire, relevant dans la théorie démocratique d’un pouvoir à part entière
Il s’agit donc de refaire de la fonction présidentielle une simple fonction d’incarnation interrogeant la place de la France dans l’Histoire.
La justice n’a donc pas besoin de clopinettes. Elle a besoin d’indépendance.
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