Futur Premier ministre : « Une mascarade »… Vit-on les dernières heures de la Ve République ?

De : https://www.20minutes.fr/politique/assemblee_nationale/4102255-20240725-futur-premier-ministre-mascarade-vit-dernieres-heures-ve-republique 

GlissementMinistres qui votent, gouvernement démissionnaire encore en place, vraie fausse opposition, Assemblée floue… La Constitution est malmenée depuis plusieurs semaines par la macronie

Emmanuel Macron a fermé la porte à la nomination d'un nouveau Premier ministre avant la fin des Jeux olympiques.
Emmanuel Macron a fermé la porte à la nomination d'un nouveau Premier ministre avant la fin des Jeux olympiques. - Stephanie Lecocq / POOL / AFP / AFP

Xavier Regnier

Jamais vous n’auriez cru utiliser le « mot le plus long de la langue française », appris religieusement à l’école et enfoui dans votre mémoire depuis. Pourtant, ces derniers jours, vous avez peut-être dit quelque chose comme « Yaël Braun-Pivet a été élue anticonstitutionnellement au perchoir ». Car à force de la voir tordue dans tous les sens, débattre de la Constitution est devenue une discipline à part entière pour la population.

Ministres qui votent au Palais Bourbon, gouvernement démissionnaire en place pour au moins un mois, la Droite républicaine dans l’opposition malgré un « pacte » avec le camp présidentiel… Les débuts de la nouvelle Assemblée ont été « une mascarade de pratiques et d’interprétations diverses », observe Lauréline Fontaine, professeure de droit public à la Sorbonne-Nouvelle, et qui prépare un ouvrage sur les usages des constitutions à paraître cet hiver chez Amsterdam.

Le pouvoir « impose ses propres pratiques »

Selon elle, « les règles constitutionnelles sont devenues un lieu ultra-concurrentiel » où toutes les interprétations sont possibles. « Sauf qu’à la fin, ce sont les personnes au pouvoir, en vertu des élections précédentes, qui imposent leurs propres pratiques. » Pour l’historien Johann Chapoutot, « on a atteint le sommet du délire avec l’élection de Jean-Noël Barrot », ministre des Affaires européennes, à la présidence de la commission des affaires étrangères. Autrement dit, le pouvoir exécutif et « la commission qui contrôle l’exécutif » sont représentés par la même personne.

Un cumul bancal au regard de la Constitution mais nécessaire pour assurer « la stabilité » du pays, a martelé Emmanuel Macron mardi soir. Mais étant encore au pouvoir « au moins jusqu’à la mi-août », « ce sont les seuls qui peuvent faire du mal à la démocratie », glisse l’historien. Une « démocratie » et une « république » devenues de vains mots ? « Il n’y a plus rien derrière ce niveau de généralité. Il y a un risque de galvauder ces mots, comme "Nation" ou "peuple", aboutissant à une perte de repères pour les électeurs », met en garde Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public à l’Université Paris-Nanterre.

« La République des managers »

Cet « usage incantatoire mais vide » du terme de république serait typique du macronisme, charge Yohann Chapoutot. « On en est à la république des managers », qui revendique « de ne pas avoir de valeurs enracinées, mais simplement des techniques », de voir la Constitution comme « une boîte à outils », poursuit l’auteur de Libres d’obéir : le management, du nazisme à aujourd’hui. « Il y a une perte très forte de l’éthique de l’action gouvernementale », renchérit Laureline Fontaine, pour qui l’éthique d’une fonction « correspond à la manière dont elle a été pensée en interaction avec les autres ».

Or là, tout se mélange. « On dit qu’il y a des précédents pour les ministres qui votent, mais un précédent ne fait pas une règle, sinon on n’a pas besoin de Constitution », fait-elle remarquer. C’est la perception de ces règles qui a changé, « utilisées comme ressources et non comme limites », critique la juriste.

Cette « logique d’affranchissement de la norme juridique », Yohann Chapoutot la situe au premier mandat d’Emmanuel Macron, en particulier avec l’affaire Benalla. Emmanuel Macron « tient alors des propos quasi putschistes, en disant "qu’ils viennent me chercher" alors qu’il sait qu’il est irresponsable devant la loi. »

LR et le « déni de deal »

En balayant mardi soir l’idée de nommer Lucie Castets à Matignon, Emmanuel Macron est allé au bout de cette logique de « réduction de la République à un point inédit » : « au départ on exclut quelques LFI, puis tout LFI, puis LFI et les Verts… » « Toute cette logique contribue à la période de crise, de rupture des équilibres » qu’observe Véronique Champeil-Desplats, et au brouillage général des institutions.

« L’inscription dans l’opposition de LR, c’est un déni de deal », poursuit-elle. Cette situation peut-elle durer en cas de gouvernement de coalition ? « La question va se poser de manière inédite. Le problème c’est qu’on ne sait pas qui va trancher. » Autre zone d’ombre, la « répartition inédite » des postes au sein du Bureau de l’Assemblée, où la présidente Yaël Braun-Pivet est en minorité. « Il faudra voir comment tout cela s’équilibre, comment collaborer entre les pouvoirs et les différents partis ».

« Sans doute que le mieux est de changer »

Autant de signes qui montrent qu’on est sans doute en train de passer à autre chose, avec une Ve République en bout de course. « De Gaulle voulait que l’exécutif puisse gouverner sans majorité parlementaire, par obsession de l’instabilité gouvernementale de la IVe République. Les armes type 49.3 ont été presque pensées pour une situation comme celle-ci, pour passer outre les partis », résume la professeur de droit public. Le passage en force plutôt que la coopération comme genèse donc, avec « une évolution à partir de 1962, en renforçant le système majoritaire et en créant la bipolarisation ».

« Le contexte d’émergence de la Ve République, c’est une guerre coloniale doublée d’une quasi-guerre civile et un texte taillé sur mesure pour un général né avant le XXe siècle », appuie l’historien Johann Chapoutot. Cette « conception des élites des années 1950, patriarcale », dans laquelle « le pouvoir est ultra-concentré », « ne correspond plus à rien dans la société d’aujourd’hui », clame-t-il. L’essoufflement de la Ve République, les critiques citoyennes contre la concentration des pouvoirs ou le 49.3 ne datent d’ailleurs pas d’hier. « Sans doute que le mieux est de changer de République », admet Véronique Champeil-Desplats, et « beaucoup de forces politiques, à l’Assemblée et en dehors, sont prêtes, ont déjà des idées ». « On ne partira pas d’une feuille blanche », assure-t-elle.

Mais la macronie au pouvoir a-t-elle intérêt à changer les règles qui l’y maintiennent ? « Personne n’a intérêt à changer les institutions, ni le président, ni le gouvernement, et le Parlement reste un lieu où chacun joue sa place », résume Lauréline Fontaine. « Ils viennent de perdre trois élections en un mois et rien ne change », fait remarquer Yohann Chapoutot. Un refus d’admettre sa défaite et « une politique du pire qui pourrait pousser à des logiques insurrectionnelles », craint l’historien. Et à « justifier un recours à l’article 16 », conférant les pleins pouvoirs à Emmanuel Macron. Une dernière arme pour en finir avec la République telle qu’on l’a connue.

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