Les vols en jets privés explosent pendant la COP29

 De : https://reporterre.net/Les-vols-en-jets-prives-explosent-pendant-la-COP29

         Par Alexandre-Reza Kokabi et Mémoire vive   Mis à jour le 21 novembre 2024



Ils prônent la transition tout en polluant. 126 jets privés de grandes entreprises et de gouvernements ont atterri à Bakou lors de la 1ʳᵉ semaine de la COP29, selon une enquête de Reporterre et du collectif Mémoire vive.

En une semaine, Bakou a accueilli quasiment quatre fois plus de jets qu’à l’accoutumée. Tel est le résultat de notre enquête, réalisée avec le collectif Mémoire vive, sur la première semaine de la COP29 en Azerbaïdjan. TotalEnergies, Shell... Ces jets privés sont principalement utilisés par des entreprises pétrolières, des milliardaires et des gouvernements peu enclins à réduire leur empreinte écologique.

Pour obtenir ce chiffre, nous avons travaillé avec Mémoire vive : ce collectif à l’origine du compte L’avion de Bernard qui recensait les vols du milliardaire, utilise les données pour rendre visibles des injustices sociales et écologiques. Cette enquête retrace les vols de jets privés atterris à Bakou entre le 8 et le 17 novembre, soit 126 jets privés contre 33 l’an dernier à la même période, marquant une augmentation de 290 %, soit un quasi-quadruplement.

Alors que 2024 s’annonce comme l’année la plus chaude jamais enregistrée, le sommet mondial sur le climat illustre un paradoxe criant : les responsables de la crise climatique y convergent à bord des moyens de transport les plus polluants.

Le rôle des traînées de condensation

Parmi ces vols, nombre d’entre eux sont le fait d’avions en leasing [1] ou de location, permettant à certaines personnalités de dissimuler leur identité et de masquer l’ampleur de leurs déplacements en jet privé.

Cette augmentation du trafic aérien privé, attribuable aux trajets de nombreux représentants d’entreprises et d’États vers la COP29, se traduit par des émissions supplémentaires estimées à environ 4 912 tonnes de CO2, soit l’équivalent de ce qu’émettent chaque année 534 Français. Et encore, il s’agit là d’une estimation basse : les vols avec escales n’ont été comptabilisés que sur leur dernier tronçon en direction de Bakou.

Pour rendre compte des effets globaux de ces trajets aériens, notre enquête a appliqué un facteur multiplicateur aux émissions de gaz à effet de serre des jets, prenant en compte le phénomène de « forçage radiatif ». Ce dernier amplifie l’effet réchauffant des avions en altitude, notamment via la formation de traînées de condensation. Selon l’Ademe, 1 kilogramme de CO2 émis en altitude a donc un effet réchauffant double, voire triple, de celui émis au sol

Jets privés
126 vols
4912.6 t CO2e

 Leaflet IGN-F/Geoportail

La carte prend en compte la fin des trajets, après une escale éventuelle. Il est possible de se déplacer sur la carte avec deux doigts sur mobile, de zoomer-dézoomer et de cliquer sur un vol pour voir les détails de son empreinte carbone.

Parmi les participants en jet privé figurent des émissaires d’entreprises parmi les plus polluantes de la planète. Le Boeing de Saudi Aramco, la plus grande compagnie pétrolière au monde, a notamment été repéré. En 2019, ce géant saoudien du pétrole a émis 1,93 milliard de tonnes de CO2, plus de quatre fois les émissions annuelles de la France cette année-là. ExxonMobil, autre acteur majeur du pétrole, a également été aperçu avec son Gulfstream G650ER, quelques jours après une opération de greenwashing consistant à appeler Donald Trump à maintenir les États-Unis dans l’Accord de Paris pour la réduction des émissions globales.

TotalEnergies en plein greenwashing

D’autres multinationales, comme Shell, dont les dirigeants sont venus à bord de leur Dassault Falcon 8X, tandis que le magnat australien Andrew « Twiggy » Forrest, patron du Fortescue Metals Group, grand extracteur de fer, a, lui aussi, fait route vers Bakou dans son jet personnel. Quant à TotalEnergies, c’est à bord d’un Bombardier Global 5000 que ses dirigeants ont rejoint le sommet. Le vendredi 15 novembre, au lendemain de son atterrissage, son PDG Patrick Pouyanné participait à un « déjeuner d’affaires » sur la réduction des émissions de méthane — bien que les fuites de méthane aux États-Unis, imputées à TotalEnergies, restent massives et mal contrôlées, comme l’ont récemment révélé deux ONG et le média français Disclose.

En dépit de son engagement affiché lors des COP, TotalEnergies refuse de freiner ses activités d’exploitation fossile et prévoit une croissance annuelle de sa production de 3 % jusqu’en 2030, piétinant les recommandations de l’ONU, qui prône une réduction de 4 % et de 3 % de la production mondiale de pétrole et de gaz, chaque année, pour limiter le réchauffement global des températures à +1,5 °C.

En dépit de son engagement affiché lors des COP, TotalEnergies refuse de freiner ses activités d’exploitation fossile. Flickr/CC BY-NC-SA 2.0 Deed/Sikarin Fon Thanachaiary

De nombreux chefs d’État, notamment ceux des États-Unis, de la France et du Brésil, ne se sont pas rendus à Bakou, pour diverses raisons diplomatiques. Mais des dirigeants de nombreux États pétroliers et de gouvernements populistes de droite, souvent hostiles aux régulations écologiques, y sont allés en force. Parmi eux, des représentants de l’Arabie Saoudite, de la Turquie, du Qatar et de la Hongrie, ont répondu à l’appel du président Aliyev. L’autocrate azerbaïdjanais est l’hôte de ce sommet où les intérêts fossiles continuent d’éclipser les objectifs climatiques.

L’augmentation du trafic aérien privé, attribuable aux trajets de nombreux représentants d’entreprises et d’États vers la COP29, se traduit par des émissions supplémentaires estimées à environ 4 912 tonnes de CO2. Flickr / CC BY-SA 2.0 / Markus Eigenheer

En un an, les jets émettent autant que 3 millions de Français

Plus surprenant, Reporterre et Mémoire vive ont également repéré le jet Embraer Legacy 650 de Ronaldinho, l’un des plus grands footballeurs de tous les temps, invité de la COP29. Il s’est notamment affiché aux côtés de Rovshan Najaf, président de la Fédération de football d’Azerbaïdjan... et dirigeant de la compagnie pétrolière nationale. Le Brésilien, entre Bakou et d’autres escales, a accumulé près de 7 200 kilomètres de vol en trois jours, laissant dans son sillage 70 tonnes de CO2.

Les jets privés demeurent l’un des modes de transport les plus polluants. Selon l’ONG Transport & Environment, un passager en jet émet jusqu’à 14 fois plus de CO2 qu’un passager de ligne commerciale, et jusqu’à 50 fois plus que le passager d’un train. D’après une étude publiée le 7 novembre dans la revue Communications Earth & Environment, affiliée à Nature, l’usage de ces appareils, désormais banalisé chez les élites économiques, a bondi de 46 % entre 2019 et 2023. En 2023, les jets privés ont émis autant de CO2 que près de trois millions de Français, alors que leurs utilisateurs représentent seulement 0,003 % de la population adulte mondiale.

Ironie de la situation : selon notre envoyé spécial à Bakou, tous les participants accrédités à la COP29 ont accès gratuitement aux transports en commun de la ville.

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