Cauchemar des pompiers, les incendies de batteries lithium-ion se multiplient

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29 octobre 2024 à 09h37Mis à jour le 31 octobre 2024 à 18h12

Véhicules électriques, smartphones, cigarettes électroniques… Notre quotidien regorge d’objets alimentés par des batteries lithium-ion, dont le pouvoir incendiaire redoutable provoque de plus en plus d’accidents.

Avez-vous un smartphone, un ordinateur portable, des air pods ou une cigarette électronique ? Peut-être disposez-vous d’une trottinette, d’un vélo ou d’une voiture électrique ? Il est fort à parier que tous ces objets contiennent des batteries lithium-ion. Une source d’énergie devenue incontournable, qui s’est implantée dans nos quotidiens en quelques années.

« Elles disposent d’une densité énergétique remarquable : à poids équivalent, aucune autre technologie de batterie ne réussit à enfermer autant d’énergie », explique Damien Roubineau, expert en nouvelles énergies au Centre national de prévention et de protection (CNPP). Au point que leurs inventeurs ont remporté le prix Nobel de chimie en 2019.

Une technologie qui a aussi promis de révolutionner nos mobilités. Résultat : les industries s’en emparent et des « gigafactories » de batteries au lithium poussent comme des champignons à travers l’Europe. Le problème est qu’avec le déferlement de cette technologie autour de nous, le nombre d’incendies devrait augmenter.

Un feu quasi-inextinguible

Scientifiquement, « le concept de risque est défini par la combinaison de la probabilité qu’un évènement dangereux survienne et de la gravité de ses conséquences », explique Damien Roubineau. Heureusement, la probabilité d’occurrence d’un emballement thermique responsable de l’embrasement des batteries reste très faible, dit-il d’emblée.

« Ce phénomène est essentiellement déclenché par un choc, dit le lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers professionnels Alain Laratta. Mais, cela peut aussi être lié à une surcharge, à un défaut de fabrication ou à une agression thermique extérieure. » Une fois le processus lancé, il est impossible de l’arrêter. La chaleur produite va alors brûler la batterie elle-même, mais aussi son environnement : la poubelle, la table de nuit, le garage…

Il faudra alors le savoir-faire des pompiers pour limiter la propagation des flammes, à défaut de pouvoir éteindre la source. Ainsi, le risque incendie d’une voiture électrique sur une route isolée sera très différent de celui d’une voiture garée dans un parking souterrain dont l’embrasement pourra menacer de se propager à d’autres véhicules, de fragiliser le bâtiment et d’ensevelir les équipes de secours.

« En 10 ans, les incendies liés aux batteries au lithium ont bondi de 150 % »

La fin de vie des batteries au lithium reste la plus problématique. Fortement dégradées, mal triées, elles sont responsables d’une hausse spectaculaire du nombre d’incidents dans les recycleries et les déchetteries. Selon les données du Bureau d’analyse des risques et des pollutions industrielles, entre 2010 et 2019, l’accidentalité dans les centres de déchets est passée de 14 à 24 % des déclarations.

« En 10 ans, les incendies liés aux batteries au lithium ont bondi de 150 %, et dans 60 % des cas, ils surviennent dans les centres de tri », déplore la secrétaire générale de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec), Géraldine Bulot.

« Les batteries en fin de vie sont équipées de systèmes de sécurité souvent moins performants que les batteries récentes, elles ont été déchargées et rechargées de nombreuses fois, ce qui a pu altérer leur stabilité et elles ont probablement subi de nombreux chocs au cours de leur vie. Tous ces paramètres augmentent le risque d’emballement thermique », explique le spécialiste du CNPP« Souvent, il s’agit d’un mauvais geste de tri », dit encore Géraldine Bulot. Une simple carte d’anniversaire musicale alimentée par une petite pile au lithium et agrippée par les pinces de la machine industrielle peut mettre le feu à l’ensemble du centre.

Les accidents domestiques inquiètent aussi. À New York, les pompiers s’alarment d’un phénomène grandissant. Entre 2020 et 2022, les feux liés aux batteries Li-ion y ont été multipliés par quatre (passant de 44 à 220), rapportait Libération à la suite d’un incendie dramatique. En 2023, 268 incendies de ce type ont tué 18 New-Yorkais et blessé 150 autres.

L’incendie chez le fabricant Aricell en Corée du Sud en juin 2024 a nécessité un énorme déploiement de pompiers. 22 travailleurs sont morts dans ce sinistre. © ANTHONY WALLACE / AFP

Pour lutter contre ce fléau, le département des transports de la ville a choisi d’éduquer et sensibiliser la population au risque d’incendies liés aux batteries lithium-ion et de faciliter l’installation de bornes de recharge pour les vélos et les trottinettes électriques en extérieur. La France n’échappe pas au phénomène : l’Association nationale des utilisateurs de micromobilité a déjà recensé au moins quarante-neuf incendies déclenchés par des batteries de trottinettes depuis le début de cette année.

Le risque incendie des parkings couverts inquiète aussi les autorités françaises. Car si l’embrasement d’une voiture électrique reste nettement moins fréquent que celui d’une voiture thermique, son extinction sera plus longue (2 h 30 en moyenne, au lieu de 28 minutes) et plus difficile, le feu pouvant reprendre plusieurs heures après une première extinction.

Selon un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd), les incendies survenus dans les dix dernières années (comme celui de Liverpool, dans lequel quelque 1 400 voitures avaient été carbonisées) montrent que la conception des parkings souterrains est devenue obsolète. Les auteurs recommandent à la fois de renforcer les normes de sécurité incendie de ces parkings mais également de revoir les scénarios de lutte contre le feu.

Un million de voitures électriques françaises par an

Rares, les accidents en début de chaîne restent aussi les plus impressionnants. En juin dernier, une explosion dans une usine de fabrication de batteries au lithium en Corée du Sud a fait vingt-deux morts. Le bâtiment abritait quelque 35 000 batteries.

En 2022, le cargo Felicity Ace, qui transportait près de 4000 berlines de luxe, dont 400 électriques, a fait naufrage au large des Açores après un incendie à son bord. Les pompiers avaient mis plus d’une semaine pour éteindre les flammes. L’origine du feu serait l’explosion de la batterie Lithium-ion d’une Porsche électrique. Volkswagen (qui possède Porsche) est aujourd’hui poursuivi par l’armateur et l’assureur. Le précieux chargement repose toujours à 3000 mètres de profondeur.

En France, plusieurs entrepôts sont également partis en fumée dans un immense panache noir, à Grand-Couronne (Seine-Maritime), à Viviez (Aveyron) ou encore à Saint-Consorce (Rhône), à la suite de l’embrasement de batteries.

D’ici 2027, la France produira un million de voitures électriques par an, a promis Emmanuel Macron, en 2022. À la faveur d’une activité qui s’annonce florissante, plusieurs dizaines de projets de giga-usines de batteries au lithium ont éclos partout en Europe : en Allemagne, Norvège, Suède, Autriche… Et au moins quatre en France, à Douvrin, Dunkerque, Douai (Nord) et Mulhouse (Haut-Rhin). Trois des quatre projets français seront dévolus à la technologie Li-ion, qui alimente la majorité de nos véhicules et objets électroniques.

« Le cauchemar des pompiers »

En banlieue de Mulhouse, la giga-usine du groupe Bolloré sera, elle, dédiée à la fabrication des batteries solides lithium-métal brevetées par le groupe. Cette technologie est destinée à la flotte de véhicules en libre-service ou aux bus produits par le groupe. « Le cauchemar des pompiers », avertit le lieutenant-colonel Laratta. Car bien qu’elles soient plus autonomes, ces batteries contiennent aussi davantage de lithium, qui est très réactif.

Pour lutter contre les incendies de ces sites délicats, les pompiers rencontrent les plus grandes difficultés. En Australie, en 2021, il aura fallu quatre jours aux spécialistes du feu pour venir à bout de l’incendie déclenché sur une batterie Tesla de 13 tonnes. En 2020, à Perle-et-Castelet (Ariège), les pompiers ont lutté 24 heures durant, avant de venir à bout du feu.

À l’époque, le bureau d’enquête avait étrillé RTE pour son manque de préparation. Le problème est qu’« il est impossible d’arrêter l’emballement thermique une fois lancé, dit Alain Laratta. Il n’y a qu’à attendre que la pile s’épuise ». Sur l’incendie d’un véhicule, « on va agir en protection des cibles : les occupants, les services de secours, et les cibles alentour, comme le garage », ajoute-t-il.

Dans le cas d’un entrepôt, il faudra aussi déployer des quantités astronomiques d’eau pour protéger la structure alors que les systèmes de sécurité ne sont pas encore suffisants. Or, pour l’heure, « il y a encore beaucoup d’incertitudes sur l’efficacité des systèmes de mitigation [1] vis-à-vis des incendies de batteries lithium-ion. Et nous sommes actuellement incapables de garantir qu’un système d’extinction pourra circonscrire de tels feux en toutes circonstances », prévient Damien Roubineau.

Des conséquences environnementales mal connues

Devant des incendies de cette ampleur et longs à éteindre, les conséquences environnementales ne sont hélas pas bien connues, observe Paul Poulain : « D’une part, l’intoxication par les fumées émises lors de la combustion des batteries reste très mal évaluée. Mais également la pollution des sols, liée notamment à la grande quantité d’eau utilisée pour lessiver l’incendie et limiter la propagation du feu. »

L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) vient d’ailleurs de lancer une consultation afin de proposer une réglementation sur le lithium et les sels de lithium, notamment parce qu’ils présentent des risques reprotoxiques avérés, des propriétés de perturbateurs endocriniens, et des risques de toxicité pour les milieux aquatiques.

En 2023, l’extinction de l’incendie de 12 000 batteries au lithium à Grand-Couronne avait nécessité des centaines, voire des milliers de mètres cubes d’eau pompée dans la Seine à 500 mètres de là. Début 2024, le site regorgeait toujours d’eau polluée. Il n’a toujours pas été nettoyé intégralement et menace toujours de polluer les eaux souterrains. Le 9 octobre, la justice a mis en demeure Bolloré Logistics de réaliser la dépollution d’ici la fin de l’année.

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