Censurés en Occident, tués à Gaza : La chasse aux journalistes est ouverte !
De : https://lemediaen442.fr/censures-en-occident-tues-a-gaza-la-chasse-aux-journalistes-est-ouverte/
En France, les dates d’ouverture de la chasse varient en fonction des régions. Celle des journalistes semble avoir démarré simultanément à travers le monde début octobre 2023 et dure depuis bientôt un an. C’est une autorisation exceptionnelle, jamais délivrée auparavant, que les autorités soutiennent pour des raisons obscures. Ainsi, en Occident, il est désormais permis de les arrêter. À Gaza, on les tue. Pourquoi ?
mise à jour le 01/10/24
Alors que l’horreur à Gaza atteint son paroxysme, près de 60 organisations mondiales qui militent en faveur de la liberté de la presse ont demandé en août à l’Union européenne de mettre fin à son accord d’association avec Israël. Cette démarche intervient après plus d’un an de violation des droits des médias, ainsi qu’un nombre record de morts parmi les journalistes. Reporter sans frontières, de son côté, a déjà déposé plainte devant la Cour pénale internationale afin que le procureur enquête sur la mort de plus d’une centaine de journalistes tués par l’armée israélienne.
Le bureau des médias du gouvernement a publié le 5 septembre une mise à jour des statistiques du conflit armé perpétré par l’occupation israélienne sur Gaza. Du jamais vu. 172 morts et 36 arrestations de journalistes que l’on a pu identifier depuis le début de cette guerre meurtrière (ce qui signifie qu’il pourrait y en avoir d’autres).
Certains vous diront que couvrir des conflits, en zone de guerre donc, comporte des risques. Mais peut-on parler de risques liés à l’exercice de ses fonctions quand on est systématiquement visé ? Ces journalistes ne prennent pas part au conflit, ils sont là pour observer et rapporter des faits. Ils informent le public. Les journalistes palestiniens sont devenus le gibier des chasseurs israéliens qui tirent à vue sur le malheureux qui aura enfilé son gilet « press ». Tout comme la population gazaouie, ou n’importe quel professionnel qui ose sortir de son terrier ou venir fourrer son nez sur ces terres, le journaliste palestinien est une espèce menacée.
Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, tient à jour une liste des noms des reporters et journalistes tués à Gaza. « Six mois de guerre, six mois de trop où plus de 100 journalistes ont été tués à Gaza. Ce massacre doit cesser. Les reporters de Gaza doivent être protégés. Ceux qui le souhaitent doivent être évacués et les portes du territoire doivent être ouvertes aux médias internationaux. Les rares reporters qui ont pu sortir témoignent d’une même réalité terrifiante : celle de journalistes attaqués, blessés, tués… L’armée israélienne réduit au silence ceux qui sont mus par le devoir d’informer. RSF appelle la communauté internationale, ses dirigeants et ses gouvernements, à tout faire pour renforcer la pression sur les autorités israéliennes pour qu’elles stoppent ce désastre. Le journalisme palestinien doit être protégé de toute urgence. »
Sur place, les professionnels font le récit non seulement de la situation, mais également de la réalité qui est la leur. Mahmoud al-Hams, photojournaliste de l’AFP raconte : « certaines personnes, lors de l’évacuation de la ville de Gaza [en octobre], ne voulaient pas que je sois à leurs côtés, de peur que je sois ciblé en tant que journaliste. D’autres ont refusé de nous louer des maisons pour nous loger, pour travailler, pour nous reposer, parce qu’ils avaient la conviction inébranlable que tous les journalistes de Gaza étaient des cibles. »
Wael al-Dahdouh, correspondant d’Al-Jazeera à Gaza et son collègue Samer Abou Daqa ont été les cibles d’une de ces attaques, comme le sont toutes les âmes de Gaza depuis plusieurs mois maintenant, alors qu’ils couvraient en direct le bombardement de l’école de Haïfa à Khan Yunis, et dont Samer Abou Daqa ne se relèvera pas. Il a aussi perdu sa femme et des enfants sur le camp de réfugiés de Nuseirat, lors d’une frappe israélienne. « Le prix que nous payons, la douleur que nous endurons, ne nous empêcheront pas d’aller de l’avant. C’est difficile, mais nous ne nous arrêterons pas […] et nous n’hésiterons pas, ne serait-ce qu’un instant, tant que nous sommes en vie et capables de le faire. » Un autre journaliste, Hamza al-Dahdouh, son propre fils, sera lui aussi tué par l’armée israélienne.
Travailler au péril de sa vie, de celles de ses proches, telles sont les nouvelles normes de l’exercice du métier de journaliste en Palestine. Les plus téméraires, ceux qui souhaitent coûte que coûte révéler la vérité sur ce qui se passe à Gaza, à savoir un génocide, bravent les bombes et les tirs, en trimballant leur matériel à travers les décombres et le chaos – la plupart des bureaux de médias, comme ceux de l’AFP, ont été détruits, et les équipes évacuées. Les journalistes étrangers, qui eux se voient refuser l’accès sur le territoire par les autorités israéliennes, tentent de relayer depuis leurs pays respectifs les informations qui leur parviennent du terrain. Les images, les vidéos que nous recevons sont fournies par un nombre chaque jour restreint de journalistes palestiniens et de civils.
Pour Antoine Bernard, directeur du plaidoyer et de l’assistance de
RSF « le nombre de journalistes tués par l’armée israélienne ne cesse
d’augmenter. Cela signifie que la couverture de la guerre repose sur un
nombre de plus en plus réduit de journalistes qui risquent leurs vies au
quotidien pour nous informer […] Nous réitérons notre appel, sans
relâche, à la protection des journalistes de Gaza et à l’accès à Gaza
des médias internationaux. Gaza ne doit pas devenir un trou noir de l’information. »
Israël tente de couper à la source toute information non contrôlée qui
pourrait sortir de son territoire, et dispose d’un pouvoir qui s’étend
hors de ses frontières, ici, en Occident, où des journalistes se font licencier.
Des pressions sont exercées sur les professionnels qui travaillent sur
la situation en Palestine. De ce fait, cette chasse, qui ne constitue
rien de moins que des crimes de guerre, fait écho à un vent de panique
soudain et répond à un mot d’ordre : faites-les taire ! À Gaza, c’est
simple, il suffit de leur tirer dessus. Mais dans nos démocraties
occidentales, fervents apôtres de la liberté d’expression, il est plus
difficile de s’en débarrasser. Il existe toute une artillerie employée à
cette fin : intimidation, arrestation, persécution, harcèlement,
pressions, menaces, licenciement… il suffit d’être créatif.
Cette artillerie est déployée de façon récurrente envers les journalistes qui critiquent ouvertement le génocide qui se déroule actuellement à Gaza et les empêche d’exercer leur métier. Comment continuer de couvrir cet événement quand la pression croît de jour en jour ? En première ligne, on peut dire que ces journalistes mènent un véritable combat médiatique, presque moral.
Au Royaume-Uni, le Terrorism Act 2000 est une loi qui, sous couvert de lutter contre le terrorisme, permet de procéder à des arrestations abusives, puisqu’elle définit le terrorisme d’une manière assez large. La police peut ainsi arrêter toute personne susceptible de faire la promotion de toute cause « politique, religieuse ou idéologique », et pouvant représenter un risque grave pour la santé ou la sécurité du public, pendant une période pouvant aller jusqu’à 7 jours sans inculpation. Les autorités peuvent également perquisitionner les domiciles, ou encore saisir des biens et du matériel, notamment celui utilisé à des fins journalistiques (comme les ordinateurs, les téléphones mobiles…). L’article 12, quant à lui, érige en infraction le fait d’inviter à soutenir une organisation interdite ou d’exprimer une opinion ou une croyance favorable à une telle organisation, si le soutien ou l’expression est susceptible d’encourager d’autres personnes à soutenir cette organisation.
Richard Medhurst en a fait les frais quand il s’est pris le pied dans le tube à lapin. Accusé d’avoir exprimé « une opinion ou une croyance qui soutient une organisation interdite », le journaliste indépendant a été arrêté et menotté par 6 officiers à l’aéroport d’Heathrow, à Londres, et détenu pendant 24 heures, et ses biens électroniques ont été saisis. Son travail, particulièrement axé sur le conflit israélo-palestinien, lui vaut officiellement d’être suspecté d’encourager le terrorisme. Il est très probable qu’il n’en soit rien, et que cette arrestation vise non seulement à lui clouer le bec, mais aussi celui des collègues qui emprunteraient la même voie. L’expérience, certes désagréable, ne l’a cependant pas empêché de délivrer son message. « J’ai senti que tout le processus était conçu pour intimider, humilier et me déshumaniser », et d’ajouter : « J’aime mon pays. J’ai néanmoins le sentiment que les gens qui parlent de la situation en Palestine sont ciblés. »
Ces arrestations ont pour but de dissuader les journalistes britanniques d’aller plus loin dans leur discours et la transmission des informations sur ce qui se passe à Gaza, et révèlent l’aura protectrice qui encadre ce phénomène. Cette loi est préoccupante au regard des libertés individuelles et l’on craint que son utilisation puisse être faite de manière disproportionnée au regard des droits de l’homme.
Parler du génocide perpétré par Israël contre le peuple palestinien constitue donc une infraction. Il faut que le message passe, et les moyens employés sont pour le moins efficaces. Les médias qui critiquent ouvertement le génocide à Gaza sont peu nombreux, en réalité. Dorénavant, il faut faire preuve de courage, de détermination et d’engagement pour faire son travail correctement et objectivement.
En France, Benjamin Barthe, chef adjoint du service international du Monde, couvre les événements qui se déroulent depuis le 7 octobre à Gaza. Le journal, qui se veut indépendant, publie des articles présentant des points de vue et des opinions très variées – sur ce sujet comme sur d’autres –, mais cet ancien correspondant au Moyen-Orient est accusé de partialité.
En novembre 2022 déjà, la Tribune Juive le qualifiait de journaliste « aux étranges manières » et son épouse d’ « activiste palestinienne extrémiste ». Consciencieuse, elle ne manquait pas d’ajouter les termes « antisémitisme » et « apologie du terrorisme » pour introduire son propos, et de pousser jusqu’au « palestinisme radical » du couple (avouez que c’est bien trouvé). Selon cette tribune, Barthe n’est pas qu’un simple journaliste, mais un militant anti-juif qui prendrait des positions « ultra orientées idéologiquement », pour des tweets tels que « La liste des journalistes palestiniens tués ou tabassés par la police et l’armée israélienne n’en finit pas d’enfler », « L’impunité israélienne, jusqu’à quand ? », et des retweets de messages de soutien et de prises de position.
Les informations qu’il transmet ou relaie sont objectivement vérifiables et le monde entier se pose les mêmes questions, tant cette situation est invraisemblable. Non, Israël n’est pas un État normal, c’est un fait, et il est considéré comme exceptionnel par les Israéliens eux-mêmes. Oui, il y a des violations répétées du droit international. Oui, il y a des massacres quotidiens de civils. Oui, il y a des arrestations et des détentions arbitraires. Il y a une réalité que Benjamin Barthe ne censure pas. Il dérange parce qu’il n’incarne pas la position médiatique officielle et fait un pas de côté. Est-ce anti-journalistique ? Est-ce extrémiste ou raciste ? Pas besoin d’une loupe pour constater qu’Israël bénéficie bien d’un traitement et d’une protection qui dépasse de loin ceux des États du reste du monde. Il est donc légitime de s’interroger et d’attendre des réponses honnêtes, et c’est ce que des journalistes tentent d’obtenir.
Cela crée une division au sein de la profession et l’on observe toute sorte de comportements, comme le mépris pour le travail de ses collègues, la dérision, les critiques et des attaques. On crie au complot. Quand des journalistes en dénoncent d’autres pour avoir fait leur travail, ça se tire dans les pattes. Mais lorsqu’ils s’interdisent d’aborder des questions et des faits sous l’angle de l’objectivité, pour répondre aux commandes de financeurs, c’est une forme d’allégeance. On ne s’oppose pas au discours officiel, c’est une nouvelle règle façon « 1984 » imposée aux journalistes – et à nous tous, par extension. Il existe donc bel et bien une police de la pensée.
Ce qui est le plus frappant, ce n’est pas qu’il y ait des sujets tabous, ou plus difficiles à traiter que d’autres. C’est que ce sujet en particulier est énorme et qu’il est inenvisageable, voire impossible, de ne pas en parler pour un professionnel dont la vocation est de rapporter des faits au public. Le sujet du conflit israélo-palestinien, après ceux du Covid et de l’Ukraine, n’est pas seulement encadré, il est contrôlé.
Il n’est pas possible d’imaginer pouvoir aborder la question du point
de vue palestinien sans se retrouver accusé de faire l’apologie du
terrorisme. Il est interdit de parler de victimes, interdit de parler de
crimes et encore moins de génocide. Pourtant, objectivement, à la
lumière de l’histoire et au regard des définitions officielles et
universelles, nous sommes bien témoins d’une épuration ethnique.
Pourquoi le nier ? La Cour internationale de Justice a elle-même déclaré
au mois de juillet dernier qu’Israël violait le droit international en occupant la Palestine,
et conclue qu’il doit, par conséquent, évacuer les zones occupées.
Est-ce une décision que l’on peut qualifier d’antisémite ou de
pro-terroriste ?
Par ailleurs, la charte déontologique de Munich
impose aux journalistes des devoirs tels que « respecter la vérité,
quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en
raison du droit que le public a de connaître la vérité » et « défendre
la liberté de l’information, du commentaire et de la critique ». Si
vérité il y a, n’en déplaise aux négateurs, elle doit être respectée et
le public a le droit d’en être informé. Point.
En d’autres termes, concernant la situation israélo-palestinienne, il ne s’agit pas, pour les journalistes, d’émettre une opinion, ni de faire un « militantisme pro-palestinien décomplexé », comme le titre un article du Journal du Dimanche, mais de rapporter des faits objectifs dénués de partialité, sur lesquels on peut s’accorder : il s’agit d’un génocide, l’armée israélienne commet des crimes, la population palestinienne doit se défendre – et, d’ailleurs, elle aurait bien besoin d’aide. Comment pourrait-il en être autrement ? Ce même article expose paradoxalement la mise au ban de journalistes de France 24 qui se sont permis d’aborder le sujet et qui ont été « rappelés à l’ordre », ainsi que la fin d’une collaboration avec une journaliste accusée d’avoir publié des messages antisémites sur ses réseaux sociaux. Depuis, les comptes sont surveillés. Si des propos « débordent », le journaliste qui les a cités est congédié.
Il ne faut pas confondre « impartialité » avec « soumission », car un journaliste qui fait mine de ne pas entendre les déflagrations autour de lui ne fait pas preuve d’objectivité : il fait la sourde oreille. Il ne remplit pas ses obligations professionnelles. Pas grave, d’autres iront en première ligne à sa place.
Le 2 novembre prochain aura lieu la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes. L’inversion ici est totale, puisque l’on considère que le plus grand des crimes est commis par ces mêmes journalistes, et c’est celui de l’antisémitisme. En attendant, peut-être que l’on peut inverser la chasse et chercher qui se cache derrière cette arme mortelle.
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