Éclairage nocturne : pourquoi éteindre en pleine nuit ne suffit pas
DE : https://reporterre.net/Eclairage-nocturne-pourquoi-eteindre-en-pleine-nuit-ne-suffit-pas?
11 octobre 2024 à 09h56
Mis à jour le 14 octobre 2024 à 09h35
Les communes françaises ont compris la nécessité d’éteindre la lumière en pleine nuit pour faire des économies d’énergie. Mais pour protéger la biodiversité, il faudrait aussi se passer d’éclairage à l’aube et au crépuscule.
Le ciel étoilé serait-il en train de réapparaître ? Alors que la pollution lumineuse engendrée par la lumière artificielle émise par les lampadaires, écrans publicitaires ou habitations s’accroît partout dans le monde, la France métropolitaine semble faire exception. À l’occasion de la 16e édition du Jour de la nuit, samedi 12 octobre, Reporterre fait le point sur la pollution lumineuse.
Dans l’Hexagone, les niveaux de radiance — c’est-à-dire les émissions lumineuses — ont chuté de 25 % entre 2022 et 2023, d’après les données mesurées par un satellite de la Nasa. Soit la plus forte baisse constatée dans le monde, hors les cas particuliers des pays en guerre, selon le bureau d’études spécialisé dans la pollution lumineuse, Dark Sky Lab. On peut néanmoins nuancer cette bonne nouvelle. L’indicateur calcule la luminosité au cœur de la nuit, et non en soirée et au petit matin, périodes cruciales pour la faune.
Comment expliquer cette baisse brutale en pleine nuit ? « L’éclairage public diminuait déjà depuis une quinzaine d’années et il a chuté en 2022 en raison de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine », explique Michel Deromme, membre du conseil d’administration de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes (ANPCEN).
Une règlementation plus stricte
« Sachant que l’éclairage public représente en moyenne 40 % du budget énergie des communes, face à la flambée des prix, elles ont décidé de faire des économies et d’éteindre les lampadaires en cœur de nuit », ajoute-t-il. En 2017, l’association dénombrait 12 000 communes qui éteignaient tout ou partie de l’éclairage en cœur de nuit. Désormais, elles sont 15 000.
À la crise énergétique, il faut ajouter la crise sanitaire. « Déjà, pendant les confinements, beaucoup de municipalités avaient opté pour l’extinction en cœur de nuit puisque les gens n’étaient pas censés sortir de chez eux », précise Michel Deromme.
Les causes ne sont pas uniquement conjoncturelles. Ces dernières années, le renforcement de la règlementation et l’évolution des mentalités ont également joué un rôle, selon lui. Si aucune règle ne s’applique aux communes en matière d’éclairage public sur la voirie, le secteur privé doit respecter plusieurs mesures.
L’éclairage des entreprises et des commerces doit être éteint au plus tard une heure après la fin de l’occupation des locaux et peut être rallumé à partir de 7 h du matin ou 1 h avant le début de l’activité. Les publicités lumineuses doivent, elles, être éteintes entre 1 h et 6 h et les vitrines des magasins, de 1 h à 7 h, excepté en cas d’activité plus tardive ou plus matinale. Bien que « l’État ne réalise aucun contrôle et se repose sur les maires, à force de pédagogie, les entreprises comprennent de plus en plus la nécessité d’éteindre », constate Michel Deromme, qui mène aussi des actions de sensibilisation avec l’ANPCEN.
Un indicateur incomplet
Avant de se réjouir de cette baisse, il faut regarder de plus près les données collectées. « En réalité, nous n’avons qu’une vision partielle de l’état de la pollution lumineuse puisque le satellite de la Nasa passe au niveau de la France toutes les nuits à 2 h 30 ou 3 h 30 du matin lorsque certaines collectivités ont éteint leur éclairage », précise Sébastien Vauclair, docteur en astrophysique et directeur du bureau d’études spécialisé dans la pollution lumineuse, Dark Sky Lab. Si la réduction de la pollution lumineuse est donc réelle en cœur de nuit, c’est beaucoup plus difficile à savoir en extrémité de nuit, c’est-à-dire en soirée et au petit matin. Pourtant, « ces deux créneaux sont le moment où le nombre de sources lumineuses allumées est maximal », constate Sébastien Vauclair.
« C’est surtout le moment où les animaux sont les plus actifs, or, la lumière artificielle perturbe le comportement des espèces en les désorientant », abonde Romain Sordello, ingénieur expert biodiversité. Par exemple, « l’éclairage nocturne altère le sommeil des oiseaux diurnes, pénalise la migration des oiseaux ou encore perturbe la pollinisation jusqu’à plusieurs kilomètres des points lumineux ».
« La lumière artificielle perturbe le comportement des espèces »
Bien que les communes et les entreprises ont compris l’intérêt d’éteindre en cœur de nuit pour faire des économies d’énergie, « l’enjeu désormais est de les sensibiliser sur l’éclairage à l’aube et au crépuscule pour protéger la biodiversité », estime Romain Sordello.
Cela passe par le développement de trames noires, des couloirs d’obscurité entre plusieurs zones naturelles pour permettre un réseau écologique propice à la vie nocturne. « Actuellement, une cinquantaine de collectivités ont terminé ou sont en train d’élaborer une trame noire, cela concerne des zones rurales mais aussi urbaines », indique-t-il.
On ne peut pas éteindre partout
Il y a également les réserves internationales de ciel étoilé. Cette distinction, délivrée par l’Association internationale Dark Sky (IDA), vient récompenser l’action des collectivités pour limiter la pollution lumineuse. La France comptabilise cinq sites : le Pic du Midi de Bigorre dans les Pyrénées, le parc national des Cévennes, le territoire Alpes Azur Mercantour, le parc naturel régional de Millevaches dans le Limousin et le parc naturel régional du Vercors.
Ces poches d’obscurité sont toutefois limitées : 85 % du territoire métropolitain est exposé à la pollution lumineuse à un niveau élevé, d’après l’Observatoire national de la biodiversité. Pour garantir la pérennité des réserves internationales de ciel étoilé, plusieurs dizaines de structures (Parcs naturels régionaux, France Nature Environnement, Association française d’astronomie) se sont rassemblées et viennent tout juste de créer Dark Sky France.
Les municipalités situées en dehors du périmètre des réserves internationales de ciel étoilé peuvent, elles, obtenir le label national Villes et Villages Étoilés. 722 communes comptabilisant entre 23 et 280 000 habitants ont reçu la certification pour leur éclairage public globalement raisonné.
Si on ne peut pas éteindre partout, en particulier dans les métropoles, il y a plusieurs façons de réduire les nuisances pour la biodiversité. « On peut utiliser des niveaux d’éclairement moins importants, des couleurs jaunes ou orange plutôt que blanches ou réduire le périmètre éclairé », énumère Romain Sordello qui demande une planification écologique en matière d’éclairage nocturne.
Pour cela, la première étape serait de connaître précisément l’état de la pollution lumineuse en extrémité de nuit. C’est pourquoi le Dark Sky Lab travaille, en partenariat avec les syndicats départementaux d’énergie, à la réalisation d’une carte qui recense l’ensemble des 11 millions de points lumineux d’éclairage public sur le territoire national. Pour l’heure, 4 millions de points ont été répertoriés.
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