La survie de la domination de Washington sur l’Onu, par Thierry Meyssan
De : https://www.voltairenet.org/article220158.html
Lors de leur création, les Nations unies portaient un idéal d’égalité des peuples et des nations. Cependant, dès les premiers mois de son fonctionnement, Washington et Londres ont soutenu Israël contre le peuple palestinien. Puis, Washington a falsifié le Conseil de sécurité en faisant siéger Formose à la place de la Chine et en provoquant le boycott de l’URSS. Aujourd’hui, la domination des États-Unis sur cette institution est dénoncée par une vaste majorité d’États membres. Tandis que les BRICS se placent en ordre de bataille pour que l’institution revienne au Droit international.
19 décembre 2023
En une année, l’Assemblée générale des Nations unies s’est profondément modifiée : en octobre 2022, 143 États, conduits par Washington, condamnaient les « annexions illégales » de la Russie en Ukraine, tandis qu’en décembre 2023, 153 États appelaient à un cessez-le-feu humanitaire immédiat à Gaza, contre l’avis de Washington.
Par le passé, Washington pouvait menacer quantité d’États et leur
imposer de se prononcer comme lui et d’adopter ses règles. Aujourd’hui
il fait moins peur :
Certes, le Commandement des
opérations spéciales des États-Unis (USSoCom) peut à tout instant mener
des ingérences militaires secrètes dans n’importe quel pays dans le
monde et assassiner tel ou tel de ses dirigeants, mais ce déploiement
semble de plus en plus improbable dans de grands pays.
Certes, le département du Trésor
peut interdire de commercer avec tel ou tel État et ainsi couler
l’économie du récalcitrant, voire affamer sa population. Mais,
désormais, la Russie et la Chine offrent un moyen de briser ce siège
économique.
Certes la gigantesque machine
d’interception des communications des « Cinq Yeux » (Australie, Canada,
États-Unis, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni) peut révéler les turpitudes
de n’importe quel récalcitrant, mais certains dirigeants sont honnêtes
et ne peuvent donc faire l’objet de chantage au détriment de leur
population.
De ce point de vue, la liste des États ayant voté contre le
cessez-le-feu à Gaza est éclairante, outre les États-Unis et Israël,
elle comporte un certain nombre de régimes aux caractères surprenants :
• Autriche
Karl Nehammer est un formateur en communication politique. Il serait
capable de faire passer à peu près n’importe quelle décision tant il
excelle en la matière. Militaire de carrière, il a travaillé avec
Washington en tant que formateur des officiers de Renseignement. Il est
aujourd’hui chancelier de cet ancien État neutre.
• Guatemala
Le président italo-guatemaltèque, Alejandro Giammattei, est le
représentant d’un petit groupe de capitalistes. Il lutte avec force
contre ceux qui luttent contre la corruption, incarcérant des
procureurs, des leaders d’associations de Droits humains et des
journalistes trop curieux. Allié fidèle des États-Unis, il est le seul
chef d’État latino-américain à s’être rendu à Kiev et à Taïwan.
• Liberia
Le pays est encore présidé par le footballer et chanteur George Weah. Le
président élu Joseph Boakai n’ayant pas encore été intronisé. N’ayant
aucune expérience politique, Weah a choisi comme vice-présidente Jewel
Taylor, épouse du criminel contre l’humanité Charles Taylor.
• Micronésie
La Micronésie était occupée par les États-Unis jusqu’à ce que le
président Ronal Reagan accepte son indépendance. Aujourd’hui, elle reste
cependant sous tutelle, sa défense étant assurée par le Pentagone.
• Nauru
Petit pays de moins de 10 000 habitants, Nauru n’est indépendant de
l’Empire britannique que depuis 1968. Chacun sait, aux Nations-unies que
le « président » David Adeang est opportuniste et corrompu. Il est
toujours possible à celui qui paie d’obtenir un vote favorable de ce
pays.
• Papouasie-Nouvelle-Guinée
La Papouasie Nouvelle-Guinée n’est indépendante de l’Empire britannique
que depuis 1975. Il y a sept mois, son actuel Premier ministre, James
Marape, a signé un accord autorisant les États-Unis à utiliser son
territoire comme base avancée dans le Pacifique. Ils ont un accès total à
tous ses ports et aéroports en échange de divers investissements.
Lorsqu’il a déplacé son ambassade en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem,
James Marape a déclaré : « Pour nous qui nous disons chrétiens, nous ne
pouvons pas respecter pleinement Dieu à moins de reconnaître que
Jérusalem est la capitale universelle du peuple et de la nation
d’Israël ».
• Paraguay
Son actuel président, Santiago Peña, tente de donner un coup de jeune
aux institutions tout en faisant l’éloge de la dictature anticommuniste
du général Alfredo Stroessner.
• Tchéquie
Probablement êtes-vous surpris de voir un second membre de l’Union
européenne dans cette liste. C’est que vous avez manqué l’élection de
son nouveau président, le général Petr Pavel, ami personnel de
l’ambassadeur US à Prague. Il a été formé aux USA et au Royaume-Uni et
est devenu président du comité militaire de l’Otan. Ancien collaborateur
de l’occupant soviétique, il a complétement réécrit sa biographie et
s’est transformé en occidental moderne, mais il utilise son pouvoir pour
aligner son pays sur Washington.
Vingt-trois autres États se sont abstenus. Il s’agit d’alliés de Washington et non pas de simples marionnettes comme les précédents. Quoi qu’il en soit, les Occidentaux n’ont plus la majorité (97 voix). Le G7 n’est plus un point de repère.
À ce sujet comment ne pas relever la situation actuelle du Japon où
une enquête judiciaire a mis en lumière la corruption généralisée de la
classe politique. Au moins 500 millions de dollars ont été versés, entre
2018 et 2022, à 99 parlementaires du Parti libéral-démocrate, au
pouvoir sans discontinuer depuis 67 ans (sauf deux intermèdes totalisant
4 années). Ce qui est présenté comme une « grande démocratie » n’est en
réalité qu’une mise en scène masquant un système mafieux.
Comment le G7 peut-il prétendre incarner et défendre de nobles valeurs ?
Les Brics, dont les nouveaux membres occuperont leur place le 1° janvier 2024, représentent désormais plus de la moitié de l’humanité. Ils œuvrent à un monde multipolaire. Dans leur esprit et contrairement aux cauchemars occidentaux (le piège de Thucydide), il ne s’agit pas de remplacer les États-Unis par le duopole Chine-Russie, mais d’abandonner les règles occidentales et de revenir au Droit international. Si vous ne comprenez pas ce dont je parle, lisez mon article sur ce sujet : « Quel ordre international ? » [1]. La plupart d’entre nous ignorent que les membres de la « communauté internationale » (c’est-à-dire Washington et ses vassaux) ne respectent plus leurs signatures et violent leurs engagements, à commencer par la résolution 181 [2] qui prévoyait la création d’un État palestinien ou, plus récemment, la résolution 2202 qui devait prévenir la guerre en Ukraine. Ils ignorent que leurs prétendues « sanctions » sont des armes de guerre et violent les principes de la Charte des Nations unies.
L’évolution de l’Assemblée générale des Nations unies (Onu) la place dans la même situation que la Société des Nations (SDN) en 1939. Alors que le président des États-Unis, Woodrow Wilson, avait profondément modifié le projet original de la SDN en refusant l’égalité entre les peuples, l’Onu la reconnaît dans ses textes, mais pas en pratique, comme le montre par exemple le traitement de la question palestinienne. Dans les deux cas, il s’agit de préserver la domination anglo-saxonne sur le monde, de l’extérieur de la SDN (que Washington refusa d’intégrer après en avoir modifié les statuts) ou de l’intérieur de l’Onu (que Washington intégra, mais dont ils n’a jamais respecté les statuts). D’où la question : les Brics parviendront-ils à réformer l’Onu et à le ramener au respect de ses principes ou échoueront-ils à préserver la paix ?
Dans cette perspective, l’Assemblée générale ne s’est pas contentée d’exiger un cessez-le-feu humanitaire immédiat à Gaza [3]. Elle a d’abord adopté une série de résolutions exigeant l’application de la résolution 181, celle dont la non-application avait engendré le désordre actuel. Elle exige notamment qu’Israël indemnise les biens des Palestiniens qu’il a expulsés, il y a soixante-quinze ans [4].
Commentaires
Enregistrer un commentaire