L’élevage d’insectes, un échec économique et écologique

 De : https://reporterre.net/L-elevage-d-insectes-un-echec-economique-et-ecologique

3 mars 2025 


L’élevage d’insectes devait contribuer à verdir la production alimentaire. Les difficultés financières de deux pionniers questionnent sa viabilité économique et son intérêt écologique.

L’une a misé sur le ver de farine, l’autre sur la mouche soldat noire. Les jeunes entreprises Ynsect et Agronutris ambitionnent toutes deux de produire des insectes pour leur faire une place, sinon directement dans nos assiettes, au moins dans notre système alimentaire. Après avoir englouti des sommes colossales, elles partagent désormais un autre point commun, peu enviable : celui d’être à court d’argent. L’élevage d’insectes est-il dans l’impasse ?

Leurs difficultés douchent les espoirs placés dans cette filière pour contribuer à la décarbonation de notre alimentation. En 2013, un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) présentait les insectes comme une ressource prometteuse pour l’alimentation animale, voire humaine. L’enjeu ? Produire des protéines avec un moindre effet sur l’environnement.

Lire aussi : Avez-vous faim ? Dans le Jura, une usine élève des insectes

Ces dernières années, la France, en pointe dans le secteur, a vu éclore les sociétés ambitionnant de nourrir le bétail, les volailles ou les poissons d’élevage à l’aide d’insectes réduits en farine ou en huile. Il s’agit d’offrir une solution de substitution aux farines de soja (qui contribuent à la déforestation) et aux farines de poissons (qui vident les océans). Ni plus ni moins que de « réinventer la chaîne alimentaire », écrit sur son site Ynsect, n°1 du secteur — Agronutris est troisième.

Las… Ynsect risque le redressement judiciaire. De son côté, la maison mère d’Agronutris, elle aussi en mal d’investissements, est placée sous procédure de sauvegarde depuis le 23 janvier. Pourtant, « à elles deux, Ynsect et Agronutris ont “brûlé” 1 milliard d’euros », observe Matteo Neri, spécialiste du secteur à l’institut d’études Xerfi.

Des gigafactories trop gourmandes

Avant d’être la crise d’un secteur, c’est la crise d’un modèle de développement. Les deux entreprises ont fait le choix, coûteux en capitaux, de créer des gigafactories regroupant la reproduction, l’élevage et la transformation des insectes — près d’Amiens (Somme) pour Ynsect, à Rethel (Ardennes) pour Agronutris.

Elles ont sans doute sous-estimé les défis techniques que représente le passage à l’échelle industrielle de cet élevage d’un nouveau genre. « Ynsect peine à fournir ses clients : on est plutôt au stade de l’unité pilote que de la production industrielle », estime Matteo Neri.

« La viabilité économique est très lointaine »

La problématique n’est pas seulement technique. Elle est aussi économique. Selon l’Observatoire national de l’élevage d’insectes (Onei), un organisme indépendant regroupant des chercheurs, une tonne de farine d’insecte coûte environ 5 000 euros, contre 1 600 euros pour la farine de poisson qu’elle pourrait remplacer dans les fermes aquacoles et 400 euros pour la farine de soja utilisée pour le bétail. « La viabilité économique est très lointaine », commente Tom Bry-Chevalier, doctorant à l’université de Lorraine, conseiller scientifique de l’Onei et coauteur d’un article paru dans la revue scientifique Food and Humanity.

Les débouchés dans l’alimentation humaine n’offrent pas de solution de repli. Ils restent anecdotiques. La faute à l’aversion pour la consommation d’insectes, même réduits en poudre, dans les pays occidentaux.

De nombreux acteurs, comme Ynsect, se sont rabattus sur les animaux de compagnie : les farines issues des larves de ténébrions meuniers (ou vers de farine) ou des larves de mouches servent à fabriquer des croquettes pour les chiens et chats, souvent haut de gamme. « C’est plutôt un marché de niche, n’offrant pas les mêmes perspectives que l’alimentation des animaux d’élevage », analyse Tom Bry-Chevalier.

Dépenses énergétiques

Pour ne rien arranger, les promesses environnementales de la filière ont aussi du plomb dans l’aile. L’activité est gourmande en énergie. La croissance des insectes nécessite une température constante d’au moins 25 °C, donc le recours au chauffage…

La façon de nourrir les insectes n’est également pas aussi « verte » qu’espéré. Le recours à des déchets alimentaires comme nourriture pour les larves, envisagé au départ, était séduisant : il aurait permis d’exploiter une matière inutilisée. Mais il s’avère peu praticable, selon un article paru dans Sustainable Production and Consumption, en septembre 2024 : contraintes réglementaires, difficulté logistique à collecter des déchets dans des volumes suffisants, qualité variable des apports…

Résultat : les éleveurs d’insectes achètent plutôt des dérivés de céréales (son de blé, drêches de brasseries…) qu’ils détournent de leurs autres débouchés, notamment dans les élevages traditionnels. De quoi plomber le bilan environnemental global de l’activité : au lieu de faire disparaître des déchets alimentaires et de s’inscrire dans une économie circulaire, elle provoque une pression supplémentaire sur l’usage de produits agricoles.

« Nourrir des insectes avec du son de blé avant de les donner à manger à des poulets est intrinsèquement moins efficace que de directement nourrir les poulets avec du son de blé », dit Tom Bry-Chevalier. Pour le doctorant, d’un strict point de vue environnemental, l’élevage d’insectes présente bien moins d’atouts, par exemple, que la filière des protéines végétales.



La farine de Ynsect est utilisée pour l’alimentation animale. © Roxane Gauthier/Reporterre

Pourtant, de nombreux acteurs persistent à y voir une solution d’avenir. Une partie d’entre eux a choisi un autre modèle que celui d’une usine réunissant toutes les étapes de l’activité. Ils se concentrent sur une section de la chaîne. Par exemple, Invers, une PME installée dans le Puy-de-Dôme, s’occupe de la reproduction des insectes et de la transformation. Elle confie la phase d’élevage à des agriculteurs locaux.

« Nous construisons une filière sur le modèle de ce qui a été fait pour l’élevage de poulets, en lien avec le monde agricole de notre territoire », explique Sébastien Crépieux, son président. La société n’est « pas loin d’être rentable », assure-t-il. « Alors que le modèle industriel n’a pas fait ses preuves, celui-ci, plus décentralisé, montre plus de résilience pour l’instant, confirme Matteo Neri, de Xerfi. Mais son ambition en termes de volumes de production est bien moindre. »

Il se heurte toutefois aux mêmes limites quant aux débouchés. Après avoir voulu produire des farines pour les poissons d’élevage, Invers s’est, elle aussi, recentrée sur l’alimentation pour animaux domestiques. « Face aux farines de poisson, nos protéines “élevées” ne sont pas compétitives. Comment pourrions-nous l’être face à des protéines prises gratuitement dans l’océan sans en intégrer le coût environnemental ? » déplore Sébastien Crépieux.



Dégoût des consommateurs

Pour être utilisés dans l’alimentation humaine, les ingrédients issus des insectes nécessitent une autorisation spécifique, au titre de la réglementation européenne dite « novel food » (« nouveaux aliments »). Pour l’heure, seule une poignée d’ingrédients l’a obtenue.

Le 10 février, la poudre de larves de vers de farine produite par Nutri’Earth, une PME du Pas-de-Calais, a rejoint la liste. Comme souvent, la décision a suscité de nombreuses réactions de dégoût du grand public. Le patron des magasins U a promis dans la foulée de bannir l’ingrédient des produits de son enseigne. Certes, la Commission européenne a validé son incorporation dans des gâteaux, pâtes, purées ou compotes, à hauteur de 3 ou 4 % maximum.

En réalité, les fabricants de ces ingrédients visent moins les rayons des supermarchés que le marché des compléments alimentaires, pour des besoins très spécifiques (sportifs, personnes âgées) : la poudre de Nutri’Earth, qui n’a pas de goût particulier selon le fabricant, est riche en vitamine D3. Dans tous les cas, l’étiquetage de ces ingrédients est obligatoire.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les vaccins COVID ont provoqué une augmentation d'au moins 14 000 % des cas de cancer aux États-Unis selon le CDC

Est-il temps de se débarrasser de son dentifrice ?

La crise ukrainienne : aspects géopolitiques