France - Interdiction de penser
France : les associations féministes qui n’ont pas condamné l’attaque du Hamas le 7 octobre dans le collimateur du gouvernement
« Toujours plus loin dans l’horreur, Aurore Bergé veut punir celles et ceux qui luttent au quotidien pour les droits des femmes pour avoir eu une opinion divergente des propagandes gouvernementales françaises et israéliennes. »
Dimanche 11 février, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA, dont le porte-parole est Olivier Besancenot) n’est pas le seul à réagir aux propos de la ministre française chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations.
Au micro de la radio communautaire juive Radio J, Aurore Bergé, qui est aussi présidente du groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée nationale depuis 2019, a annoncé dimanche avoir lancé un vaste examen des déclarations des associations féministes au sujet de l’attaque du Hamas le 7 octobre, au cours de laquelle 1 139 Israéliens ont été tués.
Le gouvernement est donc en train de passer « au crible » les déclarations de toutes les associations féministes avec pour consigne de supprimer les financements publics « à la moindre ambiguïté », a affirmé la ministre.
« S’il y a la moindre ambiguïté, il ne serait pas normal que ces associations continuent à avoir des subventions de la part du gouvernement », a-t-elle expliqué.
Aurore Bergé a justifié cette démarche par le silence qu’elle juge « insupportable » de « trop nombreuses associations qui auraient dû se sentir en empathie évidente » avec les femmes victimes des exactions, dont des violences sexuelles et des mutilations, dont le Hamas est accusé.
« Je refuse que l’État soutienne financièrement des associations qui ne sauraient pas caractériser ce qui s’est passé », a insisté la ministre en soupçonnant des associations féministes de ne pas s’être prononcées parce que les victimes étaient juives.
« Si le drame qui s’est produit le 7 octobre à l’encontre des femmes s’était produit ailleurs, est-ce que les réactions auraient été plus fortes ? Malheureusement, je crains que ça aurait pu être le cas », a-t-elle conclu.
La méthode. Les chiffres. Le deux poids, deux mesures
Certains internautes se sont insurgés contre la méthode. Un enseignant a estimé par exemple que « quand l’État se mêle du discours – au sens linguistique du terme – pour sanctionner les termes de ce discours, la dictature est proche ».
D’autres ont accusé Aurore Bergé de « révisionnisme », s’étonnant des données avancées par la ministre, qui parle de « milliers de femmes exterminées, assassinées, brûlées ou violées ».
Un bilan israélien a fait état en décembre de 334 femmes tuées sur les 1 290 victimes alors recensées par les communications des familles et des différents services sanitaires et militaires israéliens.
Les enquêteurs israéliens disent avoir recueilli de nombreux témoignages « choquants et pénibles » faisant état de ce type de crimes lors de l’attaque du groupe palestinien, ce que le Hamas dément.
Fin décembre, le quotidien The New York Times a publié une enquête sur les allégations de violences sexuelles du 7 octobre. La photo de couverture de l’article présente la famille endeuillée de Gal Abdush, une juive israélienne de 34 ans qui a été tuée avec son mari alors qu’ils tentaient de fuir le festival de musique Nova.
L’histoire de Gal Abdush est au cœur de l’enquête du New York Times, comme preuve d’un « schéma récurrent de viol » et de mutilation, parmi d’autres accusations portées contre le Hamas.
Pourtant, quelques jours plus tard, le 2 janvier, les proches de Gal Abdush ont renié l’article, affirmant que le journaliste les avait manipulés et qu’il n’y avait aucune preuve de viol. Comme l’ont rapporté d’autres médias, l’enquête du New York Times reprend plusieurs affirmations discréditées et démenties d’atrocités commises le 7 octobre.
Cet incident a soulevé plusieurs questions concernant les allégations de viol « généralisées » et a donné lieu à des demandes de « preuves irréfutables ».
Appel au « démantèlement » d’Amnesty International
Cette année-là, en février, l’ONG avait publié un rapport concluant que « le système israélien de ségrégation et de discrimination institutionnalisées à l’égard des Palestiniens, en tant que groupe racial, dans tous les domaines sous son contrôle équivaut à un système d’apartheid ».
À l’occasion du 36e dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), lors d’un direct retransmis sur la chaîne israélienne i24News, Aurore Bergé avait déclaré : « Face à la campagne scandaleuse d’Amnesty International qui parle d’apartheid alors qu’Israël est évidemment une démocratie, je crois que c’est important que toutes ces associations qui, de facto, détournent leur objectif initial et qui professent la haine, puissent clairement être démantelées. »
Certains enfin s’interrogent sur le silence de la ministre face aux victimes palestiniennes, s’indignant d’un deux poids, deux mesures. Selon un nouveau bilan rendu public le 12 février, le Hamas recense 28 340 personnes tuées à Gaza, en majorité des femmes et des enfants, par l’armée israélienne depuis le 7 octobre.
Le 3 janvier, l’ONG Human Rights Watch a par ailleurs rapporté que des travailleurs gazaouis détenus dans des prisons israéliennes avaient été soumis à des violences sexuelles, en étant notamment dénudés, battus et photographiés. Les tortures sexuelles subies par les Palestiniens, hommes et femmes, dans les prisons israéliennes sont bien documentées.
Les reproches à l’encontre des associations féministes ont commencé en réalité en novembre 2023. À ce moment-là, Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles, s’était interrogée sur un féminisme « à géométrie variable ».
Le 25 novembre, lors d’une grande marche organisée à Paris et rassemblant des dizaines de milliers de personnes contre les violences faites aux femmes à l’appel du collectif Nous toutes et d’autres associations féministes, la polémique avait pris un nouveau tournant.
Lors de cette marche, un cortège de femmes « venues rappeler les exactions sexistes et les viols de masse commis par le Hamas le 7 octobre » s’était joint à la manifestation en accusant les associations organisatrices d’être « complices » des crimes du Hamas parce que « silencieuses » au sujet des violences sexuelles dont auraient été victimes les Israéliennes.
Deux jours plus tard, plusieurs associations féministes françaises avaient publié un communiqué pour rappeler que leur lutte concernait « toutes les femmes ».
« Nous condamnons sans ambiguïté les crimes sexuels et sexistes, viols et féminicides commis par le Hamas, qui ont particulièrement visé les femmes mais aussi les personnes LGBTQI+ et les enfants », pouvait-on lire dans le communiqué.
Dans une déclaration distincte, la présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert, assurait avoir dès le 13 octobre « pris la parole pour dénoncer sans ambiguïté cette attaque terroriste et antisémite, ainsi que les crimes de viols commis contre les femmes en temps de conflit ».
Elle appelait, par ailleurs, à ce « que la lumière soit faite sur ce qui s’[était] passé exactement » lors de la manifestation contre les violences faites aux femmes et souhaitait « que l’ensemble du mouvement féministe soit en capacité de s’assurer à l’avenir qu’aucune femme ne soit jamais intimidée lorsqu’elle dénonce des violences ».
Ce lundi 12 février, le collectif Nous toutes a qualifié d’« instrumentalisation » les propos de la ministre.
Sur Radio J, Aurore Bergé a en outre jugé « indécente » la présence des élus de La France insoumise (LFI, gauche radicale) lors de la cérémonie d’hommage aux victimes du 7 octobre, le 7 février à Paris.
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